Façade et structure bas carbone ?
En réhabilitation, la façade et la structure sont les postes importants, non seulement en termes de poids carbone, mais aussi et surtout parce qu’il s’agit avant tout de faire un projet. Comme dit précédemment, le travail environnemental revient à s’interroger sur l’impact de chaque matériau utilisé.
La première règle, c’est que la façade doit désormais d’abord être optimisée au regard de ses émissions de CO2, prioritairement aux critères d’énergie. C’est un changement d’approche drastique pour les architectes et ingénieurs, auparavant soumis à des réglementations thermiques[11] dont l’unique objectif était de réduire notre consommation énergétique. La nouvelle réglementation, la RE2020, sortie en 2022[12], va presque entièrement dans le sens du carbone et impose un seuil carbone à partir duquel il devient impossible de construire. Cette réglementation ne s’applique pas à la réhabilitation, mais sa logique et le fait qu’une réhabilitation lourde appelle souvent une façade entièrement neuve nous permettent d’établir des analogies.
Nous savons aujourd’hui que certaines typologies de façades[13] améliorent l’impact carbone, et ce choix devrait donc dicter celui de l’apparence et de la forme. Nous savons également que les parties vitrées sont le point faible de nos impacts, et ce tant en raison des déperditions d’énergie que pour leurs émissions carbone[14]. Ainsi, une façade entièrement vitrée (à double ou triple vitrage), qui permet un gain énergétique majeur, peut avoir un bilan supérieur à 300 kg eqCO2/m², alors qu’une façade bas carbone peut descendre sous les 100 kg eqCO2/m². Ce second type de façade est le seul qui permette, du point de vue des matériaux, des émissions inférieures à 800 kg eqCO2/m² sur la globalité du bâtiment.
Pour un œil avisé, il est facile d’apprécier le poids carbone d’un bâtiment simplement en regardant sa façade. D’autant que la forme d’un bâtiment, sa complexité ou sa compacité sont en corrélation stricte avec son impact. Certains architectes suivent le principe « form follows function » (« la forme découle de la fonction ») ; nous devons désormais adopter le précepte « form follows carbon ». À ce titre assez efficace, le bâtiment haussmannien montre une partie du chemin.
Sans forcer le trait, une réhabilitation orientée carbone permet, dans le cas d’un immeuble haussmannien, d’économiser 200 kg eqCO2/m² sur la matière et 150 kg eqCO2/m² sur l’énergie, pour atteindre sans trop de difficultés un bilan de 850 kg eqCO2/m², soit presque deux fois inférieur à celui d’une construction neuve.
Parmi les optimisations, dans notre exemple, figurent en outre l’absence de création de surface au profit d’une densification des espaces, l’usage de matériaux biosourcés et la sobriété dans les aménagements. Cela induit deux préoccupations. D’une part, il faut accompagner les usagers pour leur faire comprendre les enjeux d’un projet dont certaines surfaces sont réduites ou partagées, et les moyens de diminuer leur propre bilan carbone. D’autre part, la programmation elle-même doit être bas carbone. Construire un parking automobile plutôt qu’un parking vélo est un choix programmatique qui peut grandement contraindre un projet.
Nous l’avons vu : bien que les nouvelles façades de la tour Montparnasse soient très carbonées, elles permettent un gain majeur sur le bilan carbone en matière énergétique. La particularité de cet ouvrage, ce sont aussi les contraintes techniques et mécaniques, ainsi que le système de ventilation naturelle, qui alourdissent forcément son bilan carbone global.
Évoquons maintenant la structure. Les reprises structurelles devraient toujours être réalisées à l’aide de matériaux biosourcés, beaucoup plus légers et garantissant une grande souplesse de chantier. Si ces matériaux peuvent nécessiter une ingénierie complexe, leur usage est néanmoins aujourd’hui de plus en plus répandu. Mais leur avantage premier, ce sont des émissions décalées dans le temps, c’est-à-dire qui n’interviennent que lorsqu’ils sont en fin de vie. Et lorsque, à ce décalage temporel s’ajoute une durée de vie très longue du bâtiment, nous pouvons parler de stockage carbone. Bien que l’emploi du bois paraisse un choix évident, on peut aussi utiliser d’autres types de structure, comme la terre crue ou la pierre, et ne recourir au béton, si possible « bas carbone »[15], que si aucun autre matériau ne peut tenir sa place. De même que pour la façade, nous devons réviser nos modes de pensée : le béton, et tous les procédés que nous utilisons sans y réfléchir depuis 30 ans, ne doivent pas être la première solution proposée, même si elle apparaît d’emblée. Notons avec plaisir que la RE2020 met en avant les matériaux biosourcés grâce à l’adoption de la nouvelle méthode de calcul dite de « l’ACV dynamique »[16]. En se fondant sur ce type de calcul, une structure non optimisée peut désormais atteindre un bilan moindre, de l’ordre de 150 kg eqCO2/m², et une structure optimisée et très bas carbone se rapprocher de 0 kg eqCO2/m².
Pour autant, il ne s’agit pas de se réjouir alors que n’ont été traités que les gros budgets : cette démarche doit également être appliquée à tous les autres postes. L’intérieur d’une réhabilitation, les lots architecturaux doivent participer à l’effort de décarbonation. C’est là que le réemploi entre en jeu. Alors qu’il est devenu un sujet moteur pour de nombreuses start-ups et associations, designers, boutiques et même des assurances et des plateformes de vente[17], il n’y a aucune raison de ne pas massifier les propositions en ce domaine. Dans un immeuble de bureaux, par exemple, il est très efficace de mettre en œuvre des faux planchers ou des équipements de sanitaires de réemploi. Il y a aussi un gisement à imaginer en ce qui concerne les chemins de câbles et les gaines de fluides. Dans les logements, le réemploi des sanitaires, des radiateurs est parfaitement envisageable. Au-delà de ces exemples, tout est à réinventer, du réemploi direct sur site, c’est-à-dire un élément conservé et réutilisé dans le projet de réhabilitation, jusqu’à l’utilisation de matériaux issus d’autres chantiers ou de produits qui servent à fabriquer un nouveau matériau. Nous pouvons mentionner les célèbres verres de la chenille du Centre Pompidou réutilisés dans des aménagements de bureau, ou l’isolant Métisse, fabriqué à partir de coton recyclé issu de vêtements. D’un point de vue carbone on peut, sans trop se tromper, considérer que le poids des matériaux de réemploi est négligeable. Le réemploi a en outre l’avantage de réduire la pression que nous exerçons sur les ressources et la production de déchets – ce qui est tout aussi fondamental.
Au-delà du réemploi, la frugalité doit guider chacune des actions dans le secteur du bâtiment : doit-on encore, en 2022, équiper les bureaux à la fois d’un faux plancher et d’un faux plafond ?