Considérer les territoires latents 

Pendant la crise sanitaire alors que la ville se figeait, la campagne se repeuplait. L’arrivée accélérée et persistante de néoruraux est pour Violette Soleilhac, jeune architecte, l’occasion de restaurer des centres bourgs désertés. Ces réparations, portées par de nouveaux modes de faire, conjuguent la valeur des savoirs faire et la valeur du partage. D’une part car il faut faire avec et de l’autre parce qu’il faut faire ensemble pour revitaliser les campagnes.

Violette Soleilhac
Architecte

26 Juin 2021
7 min.
Baigné dans une atmosphère d’angoisse, guidé par une incertitude latente sur fond de paranoïa ambiante, chaque pays a tenté, à coups de confinements et de vaccinations massives, de braver cette crise qui s’éternise. La pandémie de Covid-19 nous a contraint à regarder la réalité en face, notre réalité, celle de notre vulnérabilité, d’abord physique puis économique. Si ce virus s’est attaqué à nos poumons vulnérables et a asphyxié nos économies, il nous a pourtant rendu la vue sur nos modes de vies devenus consuméristes. Alors pendant les confinements à répétition, certains se sont protègés en se réfugiant dans leurs projets, avec pour antidote, l’inventivité. Du côté des architectes, cet antidote a semblé faire son effet, il a stimulé les pratiques, les initiatives, les projets à long comme à court terme. Chacun y est allé de ses projections, touchant à de multiples sujets ; logements, réversibilité, mobilité, densité ou encore ruralité. Parmi ce foisonnement d’idées, une question a émergé, celle du devenir des territoires ruraux. Longtemps stigmatisés et dans l’ombre du dynamisme des métropoles, il semblerait qu’une partie de la population ait fait le choix de ces territoires pour braver l’obligation du « restez chez vous ». Ce semblant d’exode urbain initié par la persistance du Covid-19 ne souligne- t-il pas toute la complémentarité des territoires ruraux vis-à-vis des grandes aires urbaines ?

Alors que la situation incite à revoir nos habitudes, elle pousse à se tourner d’avantage vers les espaces ruraux, en leur donnant une véritable place dans les projets immobiliers de demain. À défaut d’avoir l’offre commerciale et culturelle des grandes agglomérations, les bourgs ruraux affichent des prix concurrentiels en terme de logement. Mais le risque d’une croissance de la démographie en milieu rural serait de perpétuer un système encré depuis bon nombre d’années ; celui de l’étalement urbain. Les centres bourgs ruraux atteignent de forts taux de vacance, la petite commune d’Alleyrac en Haute-Loire en est un triste exemple, puisqu’elle affichait en 2019 plus de 21,7% de vacance [1]. C’est justement sur ce bâti vacant que réside tout le renouveau des centralités rurales. Même s’il y a encore la nécessité de construire des logements, l’enjeu principal reste celui de la transformation et de la répartition de l’existant. En effet, si l’espace rural doit avoir une offre de logements diversifiée pour se préparer aux demandes croissantes de demain, cela nécessite dans un premier temps de se positionner sur les orientations urbaines à adopter ? Quel type d’habitat souhaiterons-nous à l’avenir ? Restons-nous sur un schéma jusque-là fortement utilisé, celui du lotissement en extension des centres bourgs ? Ou bien appuyons-nous sur les centralités aujourd’hui quasiment vidées de leurs habitants ? Dans les deux cas, cela aura un impact réel sur les communes, à court comme à long terme. Mais, si certaines communes commencent à privilégier la régénération des centres bourgs sur eux-mêmes, cela n’est pas sans effort, voire même sans sacrifice. Choisir de projeter les bourgs ruraux depuis leurs centres, c’est faire le choix d’un projet à long terme. La pertinence de ces interventions se mesure sur la durée par leur addition, elles dépassent les mandats. Il ne s’agit pas d’immédiateté, mais bien de pérennité. Or, les communes qui s’y sont attelés prématurément le savent : la multiplication des petits projets finit par faire émerger ce que l’architecte Simon Teyssou appelle un «projet augmenté». [2].


Choisir de projeter les bourgs ruraux depuis leurs centres, c’est faire le choix d’un projet à long terme. La pertinence de ces interventions se mesure sur la durée par leur addition, elles dépassent les mandats. Il ne s’agit pas d’immédiateté, mais bien de pérennité..

Alors comment initier une multiplication de projets de logements dans ces milieux latents ? Tout d’abord, il faut être conscient des freins que connaissent les campagnes depuis des années. Le caractère patrimonial des bourgs ruraux témoigne par exemple d’une ambivalence paradoxale puisque leur singularité est certes appréciée lorsqu’il s’agit de les visiter, mais boudée quand il faut y loger. «C’est joli mais je n’y vivrais pas», cette réaction systématique romancée par l’auteure Cécile Coulon 
[3] en dit long sur l’image que renvoie ces espaces marginalisés. Trop denses, trop sombres, la tentation du pavillonnaire est grande. Il est évident que l’abandon progressif de l’habitat dans les centres bourgs n’est pas exclusivement dû à l’alternative facile du périurbain. Cet exode est même souvent un choix par défaut lié au coût d’achat et de rénovation bien plus élevé qu’en neuf. « Se met alors en place une spirale inquiétante : plus les centres anciens se dévitalisent, moins ils sont attractifs en termes résidentiels.» [4].

C’est sur ce point de blocage que l’architecte a tout son rôle à jouer, tant dans sa capacité à convoquer les acteurs du territoire que dans sa disposition à résoudre les problèmes de densité, de luminosité ou encore de vis-à-vis. La rénovation constitue le plus grand défi des praticiens de demain. N’oublions pas que 75% de l’habitat de demain existe déjà aujourd’hui [5]. Il s’agit donc là d’une prospection qui s’inscrit dans une incertitude globale, celle de la crise du Covid-19 et qui modifie d’ores et déjà nos habitudes domestiques, sur lesquelles il faut s’appuyer pour imaginer les logements de demain. 

Entre lois récentes, projets urbains expérimentaux ou initiatives citoyennes novatrices, les pistes d’actions possibles s’inscrivent dans un large panel d’adaptation du rural sur des questions d’habitat comme de résilience. Trois familles de projets se démarquent, la première traite de l’édifice en lui-même, à partir duquel on réinvente voire même, on inverse les systèmes d’habitats actuels. La seconde convoque la programmation, c’est-à-dire la fonctionnalité des espaces. Leur neutralité doit permettre une certaine polyvalence face à une population de plus en plus mouvante et plurielle. Enfin, la troisième traite plutôt de la législation, qui, de par sa révision devrait favoriser plus aisément le réemploi des bâtis existants. La finalité des projets ne se mesure donc pas seulement par l’objet architectural fini, mais bien par le processus mis en place. 

Illustration 1 © Violette Soleilhac – Territoires latents Illustration 1 © Violette Soleilhac – Territoires latents
Illustration 2 © Violette Soleilhac  Description : Etape 1 – Chantier de gros œuvre par le bailleur (gauche) / Etape 2 : Vente et finitions par les acquéreurs (droite) Illustration 2 © Violette Soleilhac Description : Etape 1 – Chantier de gros œuvre par le bailleur (gauche) / Etape 2 : Vente et finitions par les acquéreurs (droite)
Les bailleurs sociaux, très présents dans les grandes et moyennes villes le sont beaucoup moins dans les communes de plus petite taille. Bail à construire, bail à louer ou encore bail à réhabiliter, ils utilisent de nombreuses dispositions juridiques leur permettant d’être opérants et réactifs quant à l’offre de logement. Leur présence dans les petites communes pourrait avoir un impact non négligeable sur les logements en accession. Néanmoins, ils restent frileux quant aux projets de rénovations dans ces territoires, freinés très largement pas les coûts de travaux. Il serait donc souhaitable d’innover dans ce domaine pour alléger les coûts et la temporalité des projets. La mise en vente d’opérations de clos et couvert sans finition semble être une réponse potentielle. Ce genre de rénovations peut être envisageable d’ici quelques années puisque les évolutions en termes de réglementation cherchent à conforter ces pratiques. Le législateur est allé dans ce sens puisque depuis la loi Élan 30, un contrat préliminaire de vente permet à l’acquéreur de se réserver l’exécution de travaux de finition ou d’installations d’équipements qu’il se procure par lui-même [6]. Ce processus de projet pourrait s’apparenter à celui des maisons évolutives construites à Quinta Monroy par l’architecte chilien Alejandro Aravena, dont l’objectif principal était de constituer un cadre propice à l’auto construction pour éviter tout étalement urbain. Même si la question n’est pas ici d’imaginer un principe pour éviter les constructions de bidonvilles, les questions d’économie et d’efficacité sont néanmoins similaires. Il s’agit de rendre la rénovation accessible au plus grand nombre, dans tout type de contexte urbain, mais aussi et surtout rural. La rénovation serait alors considérée comme un investissement et non comme une dépense. 

La demi-rénovation est une piste de réponse quand à la régénération des centres bourgs tout comme celle de l’habitat inversé [7], de l’habitat passerelle, de l’habitat intergénérationnel [8], ou encore du bail à réhabiliter. Autant d’hypothèses qui pourraient redonner à ces lieux où l’on dit que ‘tout est mort’ toute leur singularité et toute leur attractivité. Alors si aujourd’hui ces territoires latents existent de manière diffuse, sans être véritablement apparents, ils peuvent à tout moment prouver tout leur potentiel. 



1. Diagnostic pour le PLUI de la Communauté de Communes Mézenc-Loire-Meygal, Tome 1, octobre 2019
2. TEYSSOU, Simon, «Un urbanisme de fragments en territoire fantôme», Le C.R.I, Territoires fantômes, n°1, décembre 2019, page 45
3. COULON, Céclie, Les grandes villes n’existent pas, Editions du Seuil, janvier 2015
4. Du centre-borug à la ville, Réinvestir les territoires, Constats et propositions des Architectes-conseils de l’État, Juin 2019, pour le Ministère de la Cohésion des territoires et des relations et des relations avec les collectivités territoriales, page 35
5. SOQUET, Erwan, directeur de Leroy Merlin Source, invitée à l’événement «2049, à quoi ressemblera le logement de demain?» au Pavillon de l’Arsenal, à Paris en septembre 2019.
6. «Rendre les logements anciens des centres-villes plus attractifs grâce à des baux dédiés», Bâti journal, juin 2019 disponible à l’adresse URL [http://batijournal.com/rendre-logements-anciens-centres-villes-plus-attractifs-grace-a-baux-dedies/98504]
7. Projet d’habitat inversé mis en place dans la commune altiligérienne de Craponne-sur-Arzon, rendu possible par un bail à réhabiliter.
8. Projet mis en place à la Réole dans le cadre du projet «La Réole 2020», nommé la «Fabrikàtoits». Cette opération regroupe onze logements sociaux intergénérationnels conçus sur un mode participatif avec ses futurs occupants.


Violette Soleilhac
Diplômée de l’école d’architecture de Clermont-Ferrand, Violette Soleilhac a intégré l’agence Antoine Dufour Architectes en septembre 2020. Elle traite tout particulièrement la question de la rénovation aux côtés de Pierre Dufour, architecte en chef des Monuments Historiques. Elle s’intéresse également aux projets en milieux ruraux par le biais d’écrits et d’études. Elle a par exemple soutenu une mention recherche en juin 2019 portant sur la question de l’habitat individuel dans les centres bourgs ruraux (lien URL : https://evan-ensacf.com/recherche). Elle a également arbordé cette thématique en intégrant l’agence Fabriques Architectures Paysages, lors d’une année de césure ; une année durant laquelle elle a expérimenté la question du logement social au sein de l’agence Clément Vergély à Lyon puis chez Stanton Williams Architects à Londres.


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