29 juin 2020

On ralentit

Vincent Gillot

Architecte
Comme le prédisait Paul Virilio, à chaque forme de vitesse correspond un type d’accident : les trains déraillent, les avions se crashent, et l'accélération généralisée du capitalisme globalisé qui se traduit par la multiplication des déplacements, apporte la pandémie planétaire. Son vecteur : le tourisme de masse.

Or ces accélérations ont pour conséquence de faire rétrécir l’espace, si l’on s’accorde qu’il puisse se mesurer en heures et en minutes tout aussi bien qu’en mètres ou en miles. Le temps c’est même la dimension qui prime lorsqu’on évalue la distance d’une destination en avion, on compte plus volontiers en heures qu’en distance ou en vitesse. Alors que l’espace “temps” de la Terre rétrécit, c’est la Terre rétrécit.

Cette accélération se traduit donc par une réduction du temps de déplacement, avec aujourd’hui à son paroxysme l’arrivée de l’Hyperloop et ses 1 102 km/h. L’avantage qu’on y trouve est bien sûr de maximiser notre temps de séjour sur place lorsque nous voyageons. Là où il y a encore quelques décennies nous devions prendre plusieurs semaines pour effectuer un trajet nous arrivons à le réduire à une journée maximum. Le bout de cette logique serait la téléportation ce qui est déjà le cas pour l’information.

Mais c’est peut-être là la grande différence entre tourisme et voyage. Le touriste doit valider un maximum de choses à faire en un minimum de temps, il doit collectionner selfies et food-porn comme des trophées. Il doit donc aller vite pour littéralement faire le tour des différents spots. Plus il va vite plus il collectionne les moments, plus son Instagram se remplit plus il peut mesurer la qualité de ses vacances.

Le voyage en revanche prend le temps du trajet, il laisse l’ouverture de l’imprévu, c’est une rêverie. Ce n’est pas une accumulation d’actions mais le déroulement d’une durée, il n’est pas saccadé. Là où le touriste va vite, le voyageur s’attarde il regarde le paysage défiler dans un train; il flâne sans but réel, comme l’a dit Nicolas Bouvier : “en route, le mieux c'est de se perdre.” 
Cette opposition entre touriste et voyageur se retrouve finalement dans chacune de nos actions, c’est une posture. Tout ce pétrole brûlé en voitures et en jets, c’est la conséquence de l’appétit insatiable du touriste qui sommeille en nous, celui du vivre plus c’est vivre mieux. Une réponse à l’ impérieuse injonction à profiter de la vie d’une façon concurrentielle et frénétique, une sorte d’épicurisme néolibéral, un capitalisme hédonique.

Le confinement nous a fait redécouvrir l’échelle de la marche, le voyage dans un cercle d’un kilomètre, l’austérité de la normalité d’un monde sans pétrole. Finalement, l’arrêt des vols, l'impossibilité pour un grand nombre de se déplacer a eu pour conséquences de redonner au territoire sa vraie “échelle-vitesse”, son ergonomie naturelle : celle de la marche à pied. D’un seul coup, le bout de l’île de France devenait presque exotique. L’Asie une contrée lointaine, le Monde à sa juste mesure. Parce que le corollaire du loin, du long, du lent, c’est la taille de l’espace, à vitesse zéro, il est infini. 

Ne serait-ce donc pas un programme salutaire : ralentir. Ralentir c’est faire re-grandir le monde. Passer de 130 à 110 sur autoroute pour commencer, généraliser les 30km/h en ville pourquoi pas, prendre le train pas GV, marcher, pédaler...c’est retrouver l’échelle du territoire. 

Puis penser la ville à l'échelle du piéton c’est envisager la qualité dans un cercle d’un kilomètre. Notre “cercle de confinement” devient alors la dimension de notre “aire de vie” fondamentale, celle où doit se matérialiser notre qualité de vie. Finalement ralentir se traduit par une nécessité à concentrer la qualité du territoire, c’est un enjeu urbain, architectural et paysager. Aujourd’hui le luxe n’est-ce pas de pouvoir tout faire à pied?