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Il y a cinquante ans de cela, Allessandro Mendini architecte et designer italien dirigeait la revue Casabella, durant les heures de gloire du Radical Design.
L’architecture aime à se définir comme minimaliste. Avec le dé-projet, ce minimalisme ou cette réduction prend un sens plus radical puisqu’il s’agit bien de soustraire plutôt que d’accumuler, de défaire plutôt que de construire. On peut faire de l’idée de dé-projet un annonciateur de la rencontre du design et de l’anthropocène.
Et ce n’est pas un hasard si les rares philosophes à se référer à ce concept aujourd’hui appartiennent à la mouvance qui prône le principe de redirection écologique et celui de la désaturation qu’elle suppose[2]. Ce sont les mêmes qui se réfèrent au concept de « commun négatif » (proposé par Alexandre Monnin et Lionel Maurel), et qui désignent des “ressources”, matérielles ou immatérielles, tels que les déchets, les centrales nucléaires, les sols pollués ou encore certains héritages culturels, produits de notre monde consumériste. Demain nous n’aurons d’autre choix que de prendre soin de ces ressources négatives dont l’héritage commun nécessitera d’en détourner l’usage sans la possibilité du recyclage.
De manière générale, la réponse à la question écologique se limite souvent à une approche environnementale, celle de l’éco-conception d’une part (revenant à limiter les flux de matière et d’énergie et les impacts environnementaux) et celle de l’économie circulaire d’autre part (qui consiste à transformer nos déchets en ressources). Mais si l’une et l’autre sont nécessaires, elles sont pour autant insuffisantes, car elles relèvent d’une ingénierie environnementale plutôt que d’une architecture des milieux. Cette dernière est par définition éco-sociale, et ne sépare pas la question démocratique de la question écologique.
Nous voudrions ici nous rappeler à nous-mêmes nos propres illusions, en l’occurrence notre croyance que toute ressource commune, matérielle ou immatérielle, pourra faire l’objet d’un usage et d’une réappropriation démocratique.
Demain, avant de faire quoi que ce soit, on aura à défaire et à dés-oeuvrer tout l’héritage infrastructurel et architectural qui n’a pas été conçu pour durer : non seulement ces sites industriels en désuétude, ces parkings bientôt obsolètes, ces data centers mais aussi ces centrales nucléaires dont le démantèlement et la transformation sont quasi impossibles. Aujourd’hui encore, nous construisons sans cesse des futures ressources négatives, qu’il faudra bien transformer en commun négatif, pour ne pas générer de nouveaux territoires perdus.
Construire des villes à énergie positive et transformer nos déchets en ressource, ne suffira pas.Nous devons enfin admettre que le destin de l’industrie du bâtiment et des travaux publics n’est pas de nourrir l’archéologie, mais de grossir nos déchets et nos ruines. À la faveur d’Anna Tsing, un slogan est dans l’ère du temps : apprendre à habiter nos ruines. Certes la voie n’est pas facile, mais à force de contourner la question, les communs négatifs n’auront rien de commun. Ainsi nous posons la question : comment prendre soin collectivement (commoning) de ces déchets dont nous ne pouvons faire table rase ?
Que défaire demain ? La question, en réalité, est double. Comment vivre avec ce que nous avons fait, avec cet environnement en ruine qui ne fait plus milieu ? Comment défaire ce faire qui n’a d’autres horizons souhaitables que de se transformer en commun négatif ?
« Construire signifie accumuler chose sur chose, marquer pour le meilleur ou pour le pire toujours plus la surface du globe […]. Destin inéluctable de la croûte terrestre, qui, petit à petit, se remplit : centrales électriques, pylônes, fils, aéroports, métros, réseaux routiers, ferroviaires, implantations industrielles, digues, mines, usines, raffineries, ensembles de bâtiments, circuits de service et d’information forment le mécanisme redondant nécessaire à la vie. [...] Il faut introduire la notion négative de dé-projet. Le dé-projet c’est le projet conçu à l’envers : au lieu d’augmenter la quantité d’informations et de matières, le dé-projet l’enlève, la réduit, la minimise, la simplifie, il rationalise les mécanismes enrayés. Le dé-projet est une création décongestionnante, qui n’a pas comme objectif la forme architecturale » (Alessandro MENDINI Casabella, n° 410, fév. 1976, p.5[1])
L’architecture aime à se définir comme minimaliste. Avec le dé-projet, ce minimalisme ou cette réduction prend un sens plus radical puisqu’il s’agit bien de soustraire plutôt que d’accumuler, de défaire plutôt que de construire. On peut faire de l’idée de dé-projet un annonciateur de la rencontre du design et de l’anthropocène.
Et ce n’est pas un hasard si les rares philosophes à se référer à ce concept aujourd’hui appartiennent à la mouvance qui prône le principe de redirection écologique et celui de la désaturation qu’elle suppose[2]. Ce sont les mêmes qui se réfèrent au concept de « commun négatif » (proposé par Alexandre Monnin et Lionel Maurel), et qui désignent des “ressources”, matérielles ou immatérielles, tels que les déchets, les centrales nucléaires, les sols pollués ou encore certains héritages culturels, produits de notre monde consumériste. Demain nous n’aurons d’autre choix que de prendre soin de ces ressources négatives dont l’héritage commun nécessitera d’en détourner l’usage sans la possibilité du recyclage.
De manière générale, la réponse à la question écologique se limite souvent à une approche environnementale, celle de l’éco-conception d’une part (revenant à limiter les flux de matière et d’énergie et les impacts environnementaux) et celle de l’économie circulaire d’autre part (qui consiste à transformer nos déchets en ressources). Mais si l’une et l’autre sont nécessaires, elles sont pour autant insuffisantes, car elles relèvent d’une ingénierie environnementale plutôt que d’une architecture des milieux. Cette dernière est par définition éco-sociale, et ne sépare pas la question démocratique de la question écologique.
Nous voudrions ici nous rappeler à nous-mêmes nos propres illusions, en l’occurrence notre croyance que toute ressource commune, matérielle ou immatérielle, pourra faire l’objet d’un usage et d’une réappropriation démocratique.
Demain, avant de faire quoi que ce soit, on aura à défaire et à dés-oeuvrer tout l’héritage infrastructurel et architectural qui n’a pas été conçu pour durer : non seulement ces sites industriels en désuétude, ces parkings bientôt obsolètes, ces data centers mais aussi ces centrales nucléaires dont le démantèlement et la transformation sont quasi impossibles. Aujourd’hui encore, nous construisons sans cesse des futures ressources négatives, qu’il faudra bien transformer en commun négatif, pour ne pas générer de nouveaux territoires perdus.
Construire des villes à énergie positive et transformer nos déchets en ressource, ne suffira pas.Nous devons enfin admettre que le destin de l’industrie du bâtiment et des travaux publics n’est pas de nourrir l’archéologie, mais de grossir nos déchets et nos ruines. À la faveur d’Anna Tsing, un slogan est dans l’ère du temps : apprendre à habiter nos ruines. Certes la voie n’est pas facile, mais à force de contourner la question, les communs négatifs n’auront rien de commun. Ainsi nous posons la question : comment prendre soin collectivement (commoning) de ces déchets dont nous ne pouvons faire table rase ?
Que défaire demain ? La question, en réalité, est double. Comment vivre avec ce que nous avons fait, avec cet environnement en ruine qui ne fait plus milieu ? Comment défaire ce faire qui n’a d’autres horizons souhaitables que de se transformer en commun négatif ?
Victor Petit & L’Atelier Senzu, Juin 2020
[1] Traduit dans C.Guez (dir.) Écrits d’Alessandro Mendini, p.127- 28.
[2] Cf. Emmanuel BONNET et al, « Le design, une cosmologie sans monde face à l’Anthropocène », Sciences du Design, vol. 10, n°2, 2019, pp. 97-104. Cf. aussi, Alexandre MONNIN & Laurence ALLARD, « Ce que le design a fait à l’Anthropocène, ce que l’Anthropocène fait au design », Sciences du Design, vol. 11, n°1, 2020, pp. 21-31.
[2] Cf. Emmanuel BONNET et al, « Le design, une cosmologie sans monde face à l’Anthropocène », Sciences du Design, vol. 10, n°2, 2019, pp. 97-104. Cf. aussi, Alexandre MONNIN & Laurence ALLARD, « Ce que le design a fait à l’Anthropocène, ce que l’Anthropocène fait au design », Sciences du Design, vol. 11, n°1, 2020, pp. 21-31.