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Il y a quelques années, en revenant d’un de ses voyages réguliers à Blida pour rendre visite à ses parents, son ami Akim lui avait fait remarquer combien il était frappé par la façon dont on traitait les personnes âgées chez nous. Il disait « les vieux », sans s’encombrer d’euphémismes inutiles. Il observait comme on les éloignait, les isolait et peu à peu les effaçait de notre environnement. Il disait « traitait », mais on comprenait « maltraitait ».
Architecte, il avait eu à réfléchir à des établissements d’accueil pour des personnes âgées, et maintenant il était touché personnellement par le sujet, amené dans sa propre famille à s’interroger sur la façon de prendre en charge la dépendance progressive de la génération qui le précédait. Et il n’arrivait pas à se résoudre à abandonner ses propres « vieux » dans des institutions qui, on le savait désormais, pouvaient se révéler de véritables mouroirs, à la moindre crise climatique ou sanitaire. Et cela malgré le dévouement de personnels engagés, mais en nombre toujours notoirement insuffisant.
Dans notre société vieillissante, le défi était bel et bien dorénavant d’inventer l’alternative qui allait permettre d’assurer l’accueil bienveillant et personnalisé des personnes elles-mêmes vieillissantes ou dépendantes, dont le nombre ne cesserait d’augmenter. Alors que l’accessibilité universelle était devenue un mot d’ordre, et que la société inclusive était désormais une devise incontournable, il n’était plus acceptable d’emmurer les « vieux » dans des établissements isolés et à l’écart, en s’abritant derrière le qualificatif de « population à risque ». Le retour en ville et dans le quotidien devait donc être de mise, sans attendre.
Il habitait dans un immeuble disposé autour de plusieurs cours, vendu « à la découpe » il y a quelques décennies par des marchands de biens peu scrupuleux, et dont le seul objectif avait été de privatiser et de valoriser le moindre m2, à la faveur de la pénurie. Les ateliers de rez-de-chaussée, mais aussi les caves, avaient alors été transformés en habitations, fabriquant des logements familiaux inadaptés, sans lumière et mal ventilés, parfois aux limites de l’insalubrité. Habiter le rez-de-chaussée des villes dans ces conditions était devenu de plus en plus périlleux. Pourtant, il avait la conviction que c’était bien dans cette strate basse des immeubles, à l’interface entre l’intime et le public, qu’allait pouvoir s’installer une programmation spécifique et complémentaire, qui permettrait d’organiser une véritable mixité d’usages et d’installer une forte solidarité entre les générations. Ce double objectif – mixité et solidarité - pouvait être l’une des composantes de la transformation des villes de demain. Car la course à la dématérialisation et le développement des liens numériques ne sauraient suffire à eux seuls, sans une réincarnation des rapports sociaux.
Les rez-de-chaussée des immeubles étaient par nature le lieu des rencontres et des échanges ; cette vocation naturelle pourrait être étendue aux notions d’entraide et d’hospitalité. Accueillir les plus fragiles, en les intégrant au tissu de la ville, en évitant de les isoler, en les invitant à participer aussi longtemps que possible à la vie sociale. Mais aussi organiser à la bonne échelle des fonctions communes au sens le plus large possible, afin de concilier vie intime, échanges et solidarité. Et offrir les compléments que le logement seul ne pouvait plus proposer.
Car les quelques mois de confinement vécus en 2020 avaient imposé à chacun de s’enfermer chez soi pour travailler tant bien que mal, et s’occuper de ses enfants. Dans cet immeuble sans balcons, l’épisode avait surtout révélé l’inégalité des situations, suivant le confort dont chacun disposait. Il fallait se préparer aux crises à venir, et à l’essor du travail à distance, mais il était illusoire de croire que des espaces extérieurs allaient pouvoir être ajoutés pour chacun, et que réorganiser son logement allait suffire pour trouver miraculeusement des espaces de télétravail pour tous, dans de bonnes conditions. Faute de solutions individuelles appropriées, ce sont des solutions communes qui devaient être imaginées dans les rez-de-chaussée, en combinant les besoins partagés des habitants de l’immeuble, et des fonctions résidentielles complémentaires en lien avec la ville.
C’est en partie ainsi que la société et la ville résilientes auxquelles il aspirait pourraient se déployer. Une ville qui rapprocherait les gens et leur permettrait de vivre les uns avec les autres, une ville qui accepterait les usages multiples, concomitamment ou successivement, une ville qui redeviendrait désirable. Explorer et réinvestir les capacités des rez-de-chaussée existants dans leur singularité, concevoir dans cette même optique les rez-de-chaussée à venir, constituer dans un même mouvement cette épaisseur vivante qui ancre la vie urbaine dans l’échange et l’intérêt pour l’autre.
Architecte, il avait eu à réfléchir à des établissements d’accueil pour des personnes âgées, et maintenant il était touché personnellement par le sujet, amené dans sa propre famille à s’interroger sur la façon de prendre en charge la dépendance progressive de la génération qui le précédait. Et il n’arrivait pas à se résoudre à abandonner ses propres « vieux » dans des institutions qui, on le savait désormais, pouvaient se révéler de véritables mouroirs, à la moindre crise climatique ou sanitaire. Et cela malgré le dévouement de personnels engagés, mais en nombre toujours notoirement insuffisant.
Dans notre société vieillissante, le défi était bel et bien dorénavant d’inventer l’alternative qui allait permettre d’assurer l’accueil bienveillant et personnalisé des personnes elles-mêmes vieillissantes ou dépendantes, dont le nombre ne cesserait d’augmenter. Alors que l’accessibilité universelle était devenue un mot d’ordre, et que la société inclusive était désormais une devise incontournable, il n’était plus acceptable d’emmurer les « vieux » dans des établissements isolés et à l’écart, en s’abritant derrière le qualificatif de « population à risque ». Le retour en ville et dans le quotidien devait donc être de mise, sans attendre.
Il habitait dans un immeuble disposé autour de plusieurs cours, vendu « à la découpe » il y a quelques décennies par des marchands de biens peu scrupuleux, et dont le seul objectif avait été de privatiser et de valoriser le moindre m2, à la faveur de la pénurie. Les ateliers de rez-de-chaussée, mais aussi les caves, avaient alors été transformés en habitations, fabriquant des logements familiaux inadaptés, sans lumière et mal ventilés, parfois aux limites de l’insalubrité. Habiter le rez-de-chaussée des villes dans ces conditions était devenu de plus en plus périlleux. Pourtant, il avait la conviction que c’était bien dans cette strate basse des immeubles, à l’interface entre l’intime et le public, qu’allait pouvoir s’installer une programmation spécifique et complémentaire, qui permettrait d’organiser une véritable mixité d’usages et d’installer une forte solidarité entre les générations. Ce double objectif – mixité et solidarité - pouvait être l’une des composantes de la transformation des villes de demain. Car la course à la dématérialisation et le développement des liens numériques ne sauraient suffire à eux seuls, sans une réincarnation des rapports sociaux.
Les rez-de-chaussée des immeubles étaient par nature le lieu des rencontres et des échanges ; cette vocation naturelle pourrait être étendue aux notions d’entraide et d’hospitalité. Accueillir les plus fragiles, en les intégrant au tissu de la ville, en évitant de les isoler, en les invitant à participer aussi longtemps que possible à la vie sociale. Mais aussi organiser à la bonne échelle des fonctions communes au sens le plus large possible, afin de concilier vie intime, échanges et solidarité. Et offrir les compléments que le logement seul ne pouvait plus proposer.
Car les quelques mois de confinement vécus en 2020 avaient imposé à chacun de s’enfermer chez soi pour travailler tant bien que mal, et s’occuper de ses enfants. Dans cet immeuble sans balcons, l’épisode avait surtout révélé l’inégalité des situations, suivant le confort dont chacun disposait. Il fallait se préparer aux crises à venir, et à l’essor du travail à distance, mais il était illusoire de croire que des espaces extérieurs allaient pouvoir être ajoutés pour chacun, et que réorganiser son logement allait suffire pour trouver miraculeusement des espaces de télétravail pour tous, dans de bonnes conditions. Faute de solutions individuelles appropriées, ce sont des solutions communes qui devaient être imaginées dans les rez-de-chaussée, en combinant les besoins partagés des habitants de l’immeuble, et des fonctions résidentielles complémentaires en lien avec la ville.
C’est en partie ainsi que la société et la ville résilientes auxquelles il aspirait pourraient se déployer. Une ville qui rapprocherait les gens et leur permettrait de vivre les uns avec les autres, une ville qui accepterait les usages multiples, concomitamment ou successivement, une ville qui redeviendrait désirable. Explorer et réinvestir les capacités des rez-de-chaussée existants dans leur singularité, concevoir dans cette même optique les rez-de-chaussée à venir, constituer dans un même mouvement cette épaisseur vivante qui ancre la vie urbaine dans l’échange et l’intérêt pour l’autre.
Michel Guthmann, Juin 2020