25 juin 2020

Conte d'un architecte-navet

Anthony Authié

Architecte
© Gabriel Maydieu
Surement que demain le cul de Maurice sera posé, de nouveau, sur une de ces banquettes suintantes de la ligne 13 du métro parisien. Comme hier.

En gros c’est l’histoire de ce gars, Maurice Dubreuil, architecte. Dans le métro, le gars Maurice, il aimait bien gratter du papelard et tout. Il disait, « dans le serpent ça jacasse pas mal, mais comme personne ne s’écoute, en réalité, c’est assez silencieux quoi ». Et le gars Maurice, pour écrire, il avait besoin de silence. « Pouah le silence c’est vraiment trop ! » qu’il braillait à tout vent. Le gars Maurice il braillait.

Il braillait et il grattait du papelard. C’est le vocabulaire ça. Le Père Dubreuil, il disait, « avec le vocabulaire, les choses, elles sont stockées ». Alors le gars Maurice il enfilait toutes ses réflexions dans des colliers de mots. Si bien qu’il ne pouvait plus séparer une idée de sa formulation. « Parce que c’est avec ça que l’on fait de l’architecture, avec des raisonnements ! » qu’il braillait le gars Maurice.

Chatillon-Montrouge. Le gars Maurice il pensait tenir son sujet. La Venise de Suzhou. Le Paris de Tianducheng. L’Égypte de Shijiazhuang. L’Autriche de Huizhou. La Hollande de Shenyang. « Punaise, ces chinois c’est comme si quelque chose dans leur ADN les poussait à copier ! »[1]. Ils font tout pareil qu’ici. Alors qu’ici, les architectes, ils font tout pour se différencier. Mais sur son strapontin, le gars Maurice, à peine avait-il commencé à écrire qu’il fut dérangé par une bonne-dame qui n’arrêtait pas de souffler sans raison. Pff, pff … Alors, à son tour, le gars Maurice il s’est mis à souffler contre l’autre qui soufflait.

Pff, pff … Et puis elle s’est mise à renifler. Sniff, sniff… Rah, le gars Maurice il détestait les gens qui reniflent. Il disait : « Les gens qui reniflent, ça rend barj ! » Mais la bonne-dame, elle a continué jusqu’à sortir - arrêt Plaisance.

Miromesnil. « Les japonais reconstruisent certains temples chaque soixante ans. La réplique exacte est construite à côté, ensuite le premier est démonté…»[2]. « OUIII, OUIII, NONNN !!! » Le gars Maurice il avait été coupé dans son élan par cette famille qui jouait à ce jeu débile et braillait à tout vent. Le gars Maurice il aimait brailler à tout vent mais ne supportait pas d’entendre les autres brailler à tout vent. D’un côté t’avais le père qui pensait à un mot, de l’autre, la mère et le gosse qui le questionnaient. C’est un verbe ? NONNN. Un animal ? OUIII. Un mammifère ? NONNN. C’est gros ? NONNN. Ça pique ? OUIII. Et là, le gars Maurice, avant même que la p’tite famille ne réponde, il a braillé : UN HERISSONNN ! C’EST UN HERISSONNN ! Plus aucun mot jusqu’au terminus - Place de Clichy.

Place de Clichy. Le gars Maurice il n’avait pas écrit une foutue ligne. Toujours le gars Maurice il voulait écrire des foutues lignes sur des foutus sujets d’architecture. Désigner, nommer, résoudre, trouver la formule et tout. C’est l’obsession occidentale du logos[3] ça. Et le logos ça tue notre capacité à imaginer. On devient de vrais navets genre. Et un architecte qui n’éprouve plus c’est un architecte-navet. Maurice Dubreuil le navet.
Anthony Authié, Juin 2020

[1] Archi-Faux, vraies villes et faux monuments, Documentaire tv (54min), Arte.
[2] Christian de Portzamparc et Philippe Sollers, Voir Écrire, Éditions Calmann-Lévy, 2003, p.42.
[3] Grec ancien lógos « parole, discours, raison, relation » ; Langage en tant qu’instrument de la raison.
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