« Le surhumain est le sens de la terre. Que votre volonté dise : que le surhumain soit le sens de la terre ! » Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich NietzschePar sa dimension collective et mondiale, la pandémie a eu des effets insoupçonnés sur nos pratiques. Menant à une prise de conscience des apories de nos modes de vie en société, cette période aux rythmes suspendus a constitué une parenthèse propice à la réflexion sur les moyens d’entreprendre une réformation de notre conception et de nos manières de faire, de penser et de construire les villes et les sociétés, jusque lors guidées par le leitmotiv du vivre-ensemble dans des espaces de rencontre mutualisables et partagés. Et la capacité d’adaptation à l’incertitude mais aussi la notion d’héritage, centrales ces derniers mois, seront des clefs dans ce processus de mutation.
Beaucoup durent adapter leurs méthodes, leur organisation et leurs outils aux conditions générées par les directives gouvernementales, pour rester présents et actifs : dès le 15 mars, les projets en cours et (l’)à venir étaient gérés en télétravail. La performance des technologiques actuelles facilita cette conversion, menant au constat de leurs potentiels inexploités. Pour autant, cette efficacité ne pouvait exister sans la cohésion des individus et leur implication sincèredans leurs projets et auprès de leurs collaborateurs. Le secteur de l’architecture s’affirmait comme un (éco)système social résistant, riche et complexe, mais trop souvent étouffé (sinon menacé) par des contraintes externes, de temps, de budget, d’éthique.
Et pour demain ?
On repensele vivre ensemble d’aujourd’hui et de demain. Dans les interactions, une certaine présence reste fondamentale, en particulier pour les architectes sensés, justement, réfléchir sur ces points. Mais il est temps de réfléchir mieux et de s’engager dans les voies d’une pratique responsable tirant parti de tous les avantages (heuristiques, mais aussi sociaux) que présentent les outils qui encadrent nos pratiques, professionnelles comme privées, et par extension, nos existences, pour penser l’architecture. Nos espaces privés semblent être appelés (et cela de manière croissante) à se superposer, à cohabiter et à se redistribuer avec les espaces publics pour former des constellations partagées, interconnectées, et devenir les lieux d’un être-là flottant car à la fois auprès et loin des autres, dans et hors des ramifications structurelles d’un univers social et urbain ; et, bien qu’existant dans les traverses de la dématérialisation, cette architecturevirtuelle n’en possède pas moins une action réelle sur le concret. Nous devons donc l’étudier, la modeler et « l’imaginer » ensemble, pour prévenir des situations similaires. Concrètement, prévoir dans tout logement un espace aménageable en bureau s’annonce comme un des indispensables de demain tandis que le transfert d’usage de grands espaces laissés vacants durant le confinement (voies automobiles, etc.), constitue une alternative possible au coup d’arrêt subi par le modèle des espaces mutualisés et de coworking.
Puis, on ose l’expérimental. Oui, expérimenter au risque de se tromper ; pour se défaire du joug des normes et réglementations et élever tout projet, quel que soit son budget ou sa destination, vers un idéal commun. Mais encadrés par une expérimentation raisonnable et raisonnée ; pour ne pas se perdre dans les labyrinthes abscons de formes architecturales et réinventer les méthodes pour construire durablement nos environnements. Et enfin, délivrés des dérives liées à l’évolution exponentielle des savoir(-faire) du bâtir à l’ère de la « Science toute puissante », provoquer une saine confrontation à nos habitudes et à nos certitudes pour que puisse éclore (comme un fonctionnement quasi biologique) le monde de demain (et non le « monde d’après », car après quoi ?). Il faudra du temps et de l’audace pour donner forme et sens à ces données. Mais déjà certaines décisions ont des retombées qui augurent du potentiel du laisser agir l’incertitude :avec l’appropriation des rues par les terrasses de restaurant, une contrainte économique a évolué en atout urbanistique, convertissant desespaces de circulation et de stationnement en espaces de loisirs et de divertissement. Qui aurait imaginé il y a peu qu’une place de parking puisse être la meilleure table de la capitale ?
Et, surtout, on n’oublie pas. Car il ne suffira pas d’adapter les méthodes, l’organisation et les outils en laissant là les ruines de nos actions et en regardant sans les voir les vestiges déjà à demi érodés des événements de début 2020. Erigeant une mémoire du passé immédiat, il faudra revoir nos principes, questionner notre faire et nos savoir-faire pour définir mais aussi exporter les moyens que nousvoulons mettre en place afin de porter assistance à ceux qui ne sont pas à l’abri (précarité sociale en Europe, états sanitaires encore critiques à l’internationale). Bâtir (encore) plus vertueux et plus raisonné, renforçant l'intégration de l’urbanisme, de la nature et de l'humain dans les projets, penser des architectures non comme des îlots mais comme une partie d'un rhizome interconnecté couvrant le territoire et, au-delà, la planète, donc ; mais aussi rendre indissociables confort, performances énergétiques et qualité de l'espace dans une approche sensible et responsable de développement durable agissant par le plan constructif mais aussi pédagogique et de l’aide humanitaire. Par ce geste de prise de responsabilité, simple en apparence, mais devant être entrepris collectivement pour avoir un impact effectif et durable, chacun agira (à son échelle) dans la défense de l’écosystème « Terre », afin que nos enfants n’aient plus à aller à l’école masqués et contraints de s’accommoder de la distanciation dans les couloirs et dans leurs jeux.
Dans l’espace-temps qui vient de s’ouvrir, l’héritage, les interactions et l’expérimental seront les piliers de cette attitude plus engagée et (ou)verte, tendant vers une mise en œuvre plus responsable et raisonnée afin qu’ensemble nous élaborions les solutions concrètes à des problèmes depuis longtemps présents dans nos sociétés et dont nous n'avions que partiellement compris l'importance : bien-être urbain, santé, environnement, climat, espace public, circulations/connexion.
Anous de comprendre et de saisir cette opportunité d'opérer les transformations que nous repoussions, souvent fautede temps, en nous engageant dans l’incertitude au quotidien !
Pour une culture durable du durable,
Pour une architecture (ou)verte à l'innovation,
Pour des pratiques (sur)humaines (dans le sens nietzschéen lié au retour à la nature) ouvertes à l’expérimentation sur le vécu immédiat.
Et demain, ainsi, nous pourrions poser les pierres d’une « culture du durable et de l’espace », implantant la réflexion et l’attention aux concepts d'espace public, d’interactionset d’environnement, social, urbain et naturel, au cœur de tout projet.
Olivier Palatre architectes, Juin 2020