Cette fonctionnalité requiert l'utilisation de cookies
Vous pouvez modifiez vos préférences cookies ici
Les villes plus vertes de demain, by Kenneth Sonntag
Mais cette situation va changer. Le télétravail, qui ne fait encore que s’ébrouer, va se déployer et s’étendre dans toutes les entreprises, toutes les administrations, créer de nouveaux réseaux, repousser les géographies sans distendre les relations. Il ne sera plus nécessaire de prendre des transports en commun bondés pour se réunir — aux mêmes endroits, dans les mêmes bureaux — afin d’échanger, de créer, de construire ensemble. Il ne sera plus nécessaire d’aller retrouver clients et partenaires, afin d’avancer sur nos contrats, nos projets, nos associations. Les visio-conférences seront la norme, les rencontres physiques deviendront optionnelles et le plus souvent des parenthèses agréables, festives, célébrant le lancement d’un projet, une étape franchie, un objectif atteint avec succès.
Nos villes en seront transformées. Pourquoi continuer à vivre les uns à côté des autres, les uns sur les autres, si cela n’est plus nécessaire pour nos vies professionnelles ? Le désir d’espace va pouvoir enfin aboutir, et les citadins s’installer dans les périphéries et la campagne. Ainsi se prépare une diffusion spatiale inédite, inversant une longue migration centrifuge venue avec l’ère industrielle. Les villes de demain seront-elles donc désertées ? C’est en effet ce que produirait un tel renversement orienté vers le péri-urbain et les zones rurales, à moins que nous décidions de nous y opposer pour les bonnes raisons et en y mettant les formes.
Mais pourquoi s’opposer à cette juste aspiration, soudain accessible, à plus d’espace ? Principalement parce qu’un pays tout entier constitué de pavillons dispersés serait une catastrophe écologique. Si la majorité des services pourraient être réalisés et consommés à distance, il resterait toutefois des cas nécessitant un déplacement physique : hospitalisation, coiffeur, dentiste, équipements sportifs, restaurants, bars, théâtres, cinémas. Il faudrait donc se déplacer en véhicule individuel, depuis ces zones d’habitation éloignées des centres, car il n’est pas possible d’organiser des transports collectifs quand ce collectif n’est plus concentré. Il y aurait ainsi une dépense accrue d’énergie alors que nous savons que nous n’avons d’autres choix que de devenir plus sobres pour éviter une catastrophe climatique annoncée.
À nouveau, voici notre quête d’évasion contrainte, non plus cette fois par une économie centralisée, mais par une sobriété énergétique indispensable. Pourtant, la fuite des villes pourrait bien avoir lieu malgré tout. Il nous suffirait pour cela de fermer les yeux sur ces effets collatéraux négatifs mais encore suffisamment lointains pour qu’ils ne gâchent pas notre plaisir. Cette migration pavillonnaire se déploierait alors insensiblement et hors de tout contrôle écologique. Ce serait une catastrophe. La potion n’a cependant pas besoin d’être aussi amère, et il est possible de répondre à notre désir d’espace sans nuire à notre environnement. Au lieu de se diriger vers les campagnes, pourquoi ne pas amener la campagne dans les villes ? La boutade d’Alphonse Allais est ainsi en passe de devenir un impératif d’urbanisation.
Des limites géographiques (un lac, un fleuve, une montagne) et d’aménagement (une ceinture périphérique, des zones industrielles) s’imposent certes à certaines villes, mais bien d’autres pourraient facilement s’étendre afin de gagner en espace. Nos petites et moyennes villes, tous ces lieux qui bénéficiaient peu d’une croissance économique centralisée dans les grands pôles urbains, pourraient retrouver de l’attrait en proposant des espaces de vie plus confortables et plus verts. Nous pourrions végétaliser et aérer nos villes pour éviter d’urbaniser nos campagnes. Nous pourrions accepter un étalement urbain sélectif au sein des villes qui le peuvent pour maintenir une saine concentration de nos vies en commun et limiter l’artificialisation des sols. Cette transformation urbaine toucherait toutes les villes : des habitants quitteraient les grandes métropoles au bénéfice de villes plus petites, et ces métropoles pourraient se réinventer en offrant à leur tour davantage d’espace à leurs habitants.
Ces villes de demain dessineraient alors un paysage national réellement multipolaire, avec une population moins concentrée, davantage dispersée dans une séries de centres urbains, avec des jardins, des arbres et des plantes, de la nature, dans nos appartements et nos rues ; avec des habitations plus vastes, plus lumineuses, plus ouvertes sur l’horizon ; avec des transports publics denses et décongestionnés. La ville est une puissante création pleine d’énergie, il nous revient de la transformer en un lieu où nous continuerons à être heureux de vivre.
Mathieu Morio, Juin 2020