Prolongement d'un étage d'un des escaliers d'honneur au Ministère de l'Agriculture. L'escalier principal en fer à cheval ne desservait pas le 5ème étage, qui n'était desservi que par un escalier de service comme c'était l'usage pour les domestiques au XIXème siècle.
Photo du chantier en cours d'achèvement © ellenamehl.
Photo du chantier en cours d'achèvement © ellenamehl.
En 2020 une épidémie de coronavirus se propage à toute vitesse et touche le monde entier.
Si le bilan humain est sans commune mesure avec les grandes épidémies précédentes, celui du questionnement - dans tous les domaines et pour tous - est particulièrement surprenant et relève du jamais vu !
Durant ces quelques mois on a simultanément consacré le sentiment d'immobilité, vécu l'absurdité de situations quotidiennes en se berçant d'une logorrhée quasi permanente… en attendant des masques qui ne venaient toujours pas.
Cela aurait pu inspirer une pièce de Samuel Beckett.
Pourquoi s'en priver, l'occasion fait le larron et à l'échelle de nos engagements posons les (bonnes) questions pour demain.
Notre contribution porte sur la manière de penser le réemploi à l'échelle du bâti : comment développer une seconde vie autant architecturale qu'environnementale.
Nous faisons un éloge de la rénovation.
La ville européenne est dense, il y a peu de foncier disponible et il faut se faire une raison : l'avenir n'est pas de casser pour construire - mais bien de construire la ville sur la ville - voire même de construire la ville avec la ville.
Citons Paul Valery dans "Eupalinos ou l'architecte" :
"Dis-moi (puisque tu es si sensible aux effets de l’architecture), n’as-tu pas observé, en te promenant dans cette ville, que d’entre les édifices dont elle est peuplée, les uns sont muets ; les autres parlent ; et d’autres enfin, qui sont les plus rares, chantent ?"
Et puisque la ville "covidée" était chaque jour plus déserte qu'un matin de 1er janvier, n'avez vous pas mieux entendu les "édifices" ?
Trop souvent la rénovation du bâti existant - quand elle n'est pas qu'une simple remise en état - met en scène une structure mise à nue, une construction réinitialisée dont on n'aurait gardé - au mieux - qu'une matérialité nostalgique ou patrimoniale, dans ou autour de laquelle, viendrait se développer une figure contemporaine, devenant le nouveau cœur du projet, comme si le premier devenait le faire valoir muet du second, et ce faisant occultait ce dont il procède.
C'est oublier comme dit Paul Valery que les édifices parlent, et parfois chantent.
C'est oublier que la matière qui les constitue est faite aussi de pensée - même pour ceux muets.
A la différence des résidus plastiques ou métalliques, des gravats et des produits ordinaires issus d
e la déconstruction - la matière bâtie contient de la pensée autant que de la mémoire - expression d'une intelligence.
Il s'agit de la pensée conçue par les architectes, celle apportée par les entrepreneurs, mais aussi celle accumulée par les habitants.
Le déjà-là n'est pas une matière première élémentaire, arrière plan possible de démonstrations d'architecture - ni un site qu'on terrasse en faisant table rase.
C'est avant tout une agrégation de savoirs, organisés en volume d'une manière intelligible - une somme qui vaut plus que ses parties.
La matière-pensée des "édifices" se matérialise dans l'organisation des espaces, l'articulation des formes, les rapports des vides et des pleins, les relations visuelles ou les séquences d'usages, etc. C'est une pensée sans langage.
Qu'elle procède d'une pensée savante ou sauvage - pour reprendre le titre de l'œuvre éponyme de Claude Levi Strauss - la matière bâtie contient un supplément à la somme de ces molécules.
Aujourd'hui la démarche de réemploi et d'économie circulaire sur les projets focalise son attention sur les composants (portes, faux plafonds, luminaires, menuiseries, etc.). Quand elle s'intéresse à la matière du bâti c'est sous forme concassée, fondue ou rendue à l'état de matière première pour en créer de nouvelles ou recycler au sens strict.
Etendons la démarche au bâti, au déjà-là, pour que le réemploi porte aussi sur la matière grise qui la parcoure. S'agirait-il de l'âme des édifices ?
Le réemploi c'est tout à la fois comprendre la matière première du bâti, sa capacité de transformation et la stratification de ses usages.
Le bilan des masses bâties qui présentent un potentiel de réemploi "d'âme" est probablement bien supérieur à la somme des composants rapportés en réemploi conventionnel. Malheureusement cela n'est pas quantifiable … et ce n'est pas 21 grammes non plus.
Aborder la rénovation / extension suppose d'engager une démarche de retro ingénierie systématique. Dès lors, toute intervention sur l'existant doit se penser par l'appropriation, et par le lien - celui qui se créé entre la matière première existante, la pensée dont elle procède, la matière qui s'ajoute et celle que l'on retire aboutissant à établir le bilan sensible du projet.
Il s'agit d'être précis, juste, frugal et économe pour que l'amitié qui se noue entre la diversité du bâti existant et les interventions projetées se révèle dans une parfaite imbrication. Valoriser l'existant, construire peu, enlever si vraiment nécessaire, et surtout réemployer la matière autant que son âme au bénéfice du sens du projet !
En rénovation/réhabilitation - et de manière élargie quand on envisage des extensions - la première source de réemploi reste le bâti.
Comprendre ce sens profond du patrimoine (le mot est dit) c'est déjà penser le projet architectural.
Hervé Ellena et Stéphanie Mehl, Juin 2020