Le lien entre nos modes d’existence et la propagation fulgurante du Covid-19 ne peut être mis en doute. La crise sanitaire actuelle n’est pas la revanche d’une nature qui reprendrait ses droits, mais une réassignation à notre condition d’êtres vivants mortels : la maladie (nature), qui met à terre l’économie (culture), rappelle l’illusion du dualisme nature/culture qui a fondé nos sociétés occidentales depuis le XVIIe siècle.
L’homme n’est pas face à la nature, il est “nature”, composé de milliards de cellules, habité par autant de bactéries et à la merci d’un virus invisible. L’accélération exponentielle du phénomène d’urbanisation, depuis les années 1950, a conduit à un épuisement tel des ressources naturelles que la Terre est aujourd’hui en état d’urgence respiratoire. Alors que nous faisions le constat désespérant de notre impuissance à ralentir notre folle course en avant, l’arrêt brutal de la machine mondiale, et la découverte du bouton rouge « d’arrêt d’urgence » évoqué par le sociologue Bruno Latour, nous plonge aujourd’hui dans la sidération.
J’en appelle à un engagement individuel et collectif fort, sans lequel cette parenthèse inédite nous précipitera, un peu plusvite encore, vers l’irréversible. La déflagration économique mondiale risque de pousser les peuples vers un repli nationaliste et de décupler l’antagonisme opposant fin du mois et fin du monde. Or, il n’y a pas de hiérarchie des urgences, mais des urgences différentes qui font système et appellent des réponses systémiques. Il faut donc combattre le lobbying aberrant pour un report des mesures en faveur de la transition écologique.
Les pathologies de la villeoffrent depuis longtemps un objet d’études à la recherche, mais un changement d’échelle s’impose. À l’image des efforts conduits pour combattre le virus, il faut accélérer la coordination planétaire des instances politiques, intégrer la recherche scientifique à la production urbaine, réunir chercheurs et créateurs afin de venir à bout des silos et résoudre ensemble un phénomène qui dépasse nos intelligences individuelles. Les gouvernements urbains doivent amplifier comme jamais le partage de leurs expériences et la mise en commun de leurs efforts. Les politiques urbaines nationales et internationales se renforceront par un investissement massif dans la recherche et dans l’expérimentation. Des initiatives existent déjà, qui mériteraient d’être étendues et généralisées : le C40 rassemble les grandes métropoles autour de projets expérimentaux urbains, Climate-Kic, financé par l’Union européenne catalyse les recherches et les formations pour la transition écologique. Elles favorisent la rencontre d’énergies différentes, issues de la recherche, de la production urbaine, d’opérateurs autant privés que publics.
Afin de réduire voire neutraliser les impacts négatifs de l’expansion urbaine globale sur l’écosystème, nous proposons comme objectif d’une politique de santé des villes de les rendre désirables, inclusives et durables. Désirables, car stressantes et polluées, elles ne sont plus sources de bien-être. Inclusives, car elles produisent de plus en plus d’exclusion. Durables enfin, car elles consomment 80% des ressources de la planète sur seulement 2% de sa superficie.
Philippe Chiambaretta, Mai 2020
L’homme n’est pas face à la nature, il est “nature”, composé de milliards de cellules, habité par autant de bactéries et à la merci d’un virus invisible. L’accélération exponentielle du phénomène d’urbanisation, depuis les années 1950, a conduit à un épuisement tel des ressources naturelles que la Terre est aujourd’hui en état d’urgence respiratoire. Alors que nous faisions le constat désespérant de notre impuissance à ralentir notre folle course en avant, l’arrêt brutal de la machine mondiale, et la découverte du bouton rouge « d’arrêt d’urgence » évoqué par le sociologue Bruno Latour, nous plonge aujourd’hui dans la sidération.
J’en appelle à un engagement individuel et collectif fort, sans lequel cette parenthèse inédite nous précipitera, un peu plusvite encore, vers l’irréversible. La déflagration économique mondiale risque de pousser les peuples vers un repli nationaliste et de décupler l’antagonisme opposant fin du mois et fin du monde. Or, il n’y a pas de hiérarchie des urgences, mais des urgences différentes qui font système et appellent des réponses systémiques. Il faut donc combattre le lobbying aberrant pour un report des mesures en faveur de la transition écologique.
Mieux intégrer la recherche à la production urbaine
La chute spectaculaire des niveaux de pollution et de production de déchets, fait prendre conscience à l’opinion publique de l’impact des villes sur leur environnement. Cette pandémie qui met provisoirement en sommeil l’expansion et les effets néfastes des métropoles, révèle la pertinence du concept de “ville-métabolisme”, qui assimile la complexité systémique des phénomènes urbains au fonctionnement des organismes vivants.Les pathologies de la villeoffrent depuis longtemps un objet d’études à la recherche, mais un changement d’échelle s’impose. À l’image des efforts conduits pour combattre le virus, il faut accélérer la coordination planétaire des instances politiques, intégrer la recherche scientifique à la production urbaine, réunir chercheurs et créateurs afin de venir à bout des silos et résoudre ensemble un phénomène qui dépasse nos intelligences individuelles. Les gouvernements urbains doivent amplifier comme jamais le partage de leurs expériences et la mise en commun de leurs efforts. Les politiques urbaines nationales et internationales se renforceront par un investissement massif dans la recherche et dans l’expérimentation. Des initiatives existent déjà, qui mériteraient d’être étendues et généralisées : le C40 rassemble les grandes métropoles autour de projets expérimentaux urbains, Climate-Kic, financé par l’Union européenne catalyse les recherches et les formations pour la transition écologique. Elles favorisent la rencontre d’énergies différentes, issues de la recherche, de la production urbaine, d’opérateurs autant privés que publics.
Le partage des données : un enjeu crucial
Le cadre conceptuel de ville-métabolisme, qui s’attache à comprendre les interactions entre les différentes strates de la ville - mobilités, nature, infrastructures, usages, bâti - ne passera pas au stade de recherche appliquée sans le recours à la “data”, qui permet de quantifier ces phénomènes. Les modalités de traitement et le partage de ces donnéessont un enjeu crucial si on veut avoir une chance d’étudier la physiologie et les pathologies des métabolismes urbains avec des outils semblables à ceux de la médecine. Cette approche pluridisciplinairepermet de dépasser le solutionnisme technologique de la “smart city” etfait le lien entre une pensée systémique et une action systémique. Les actions articulées au sein de chacune des strates de la ville, tout comme leurs interactions, doivent être testées et évaluées à l’image des protocoles de recherche d’un traitement face à un virus.La logique de planification des projets laisse place à des approches plus itératives. L’expérimentation de voieries temporaires peut ainsi permettre de mesurer une évolution du trafic, elle-même entraînant la libération d’espaces qui peuvent donner lieu à des systèmes de végétalisations pouvant à leur tour accueillir de nouveaux usages, mais aussi impacter les niveaux de pollution, le bien-être, renforcer la biodiversité ou supplanter des infrastructures.Afin de réduire voire neutraliser les impacts négatifs de l’expansion urbaine globale sur l’écosystème, nous proposons comme objectif d’une politique de santé des villes de les rendre désirables, inclusives et durables. Désirables, car stressantes et polluées, elles ne sont plus sources de bien-être. Inclusives, car elles produisent de plus en plus d’exclusion. Durables enfin, car elles consomment 80% des ressources de la planète sur seulement 2% de sa superficie.
Pour une transformation profonde des usages
Un tel objectif nécessite un faisceau de transitions simultanées dans toutes les strates. Strate des mobilités (limitation et transition de la voiture thermique et de l’avion vers des mobilités douces et décarbonées), strate de la nature qui peut fournir de nombreux services écosystémiques (purification de l’air, infiltration des eaux de pluie, production de fraîcheur, reconstitution d’habitats au profit de la biodiversité), et remplacer des infrastructures coûteuses et polluantes. Nos usages doivent aussi profondément évoluer : développement du télétravail, horaires décalés, habitudes alimentaires ou gestion spatiale et temporaire de l’espace public,la crise actuelle ouvre de nouvelles perspectives. L’architecture doit accompagner ces mutations en intégrant dans les projets descritères derésilience, de neutralité carbone ou de mutabilité.Des projets pilotes à horizon dix ans
Comprendre les systèmes complexes dynamiques qui régissent les métabolismes urbains exige la conduite de projets pilotes à l’échelle d’une décennie. C’est l’unité de temps pour penser, concevoir et agir à l’échelle urbaine. Engagés dès 2020 à horizon 2030, ils devront pouvoir déroger aux normes habituelles qui brident l’innovation par principe de précaution et court-termisme politique. Grâce à une coopération étroite des grandes villes du monde, ces projets constitueront les multiples neurones d’une intelligence collective globale de ces enjeux. Nous avons tous vu ces derniers jours les images des rues désertes des capitales et mégalopoles. De quelles villes voulons-nous, pour quel monde ? C'est le moment ou jamais de se poser la question.Philippe Chiambaretta, Mai 2020