14 mai 2020

La nécessité d'une prise de conscience collective

Hugo Franck

Architecte

La nécessité d'une prise de conscience collective

La crise que nous vivons a vu fleurir une somme d’articles, de textes, de vidéos, de propos, sur un ensemble de sujets que d’aucuns qualifient d’inédits. Une somme de réflexions qui ne sont malheureusement pas des nouveautés : défaillance sanitaire d’une ville trop dense, manque de trames vertes, logements inadaptés, effet néfaste de la mondialisation, de la surconsommation, etc. 
Ces thèmes, ces questions, ces problèmes sont au centre des débats et des travaux des architectes, urbanistes, paysagistes, sociologues et philosophes depuis bien longtemps.
Crises humanitaires, sociales, crises écologiques et climatiques, crises sanitaires…

De combien de crises avons-nous encore besoin, de combien de « guerres », pour agir ?
Avons-nous encore le temps d’attendre, si ce n’est est-il encore temps ?

La réponse étant indubitablement non, pouvons-nous compter sur certaines promesses ou annonces des acteurs politiques que nous venons ou allons élire sur nos différents territoires ou devons-nous agir personnellement pour faire évoluer les choses ?

Prenons l’exemple du problème du réchauffement climatique : sachant que celui ou celle qui s'est simplement emparé/e de la question pour bâtir une ligne de campagne (en annonçant par exemple la plantation de quelques arbres en centre-ville pour rafraîchir des sites hautement bétonnés et minéralisés par lui/elle-même) et obtenir le plus de suffrages aux dernières élections municipales ne modifiera certainement pas radicalement son propos ni son action, et qu’il n’est plus suffisant de manière individuelle, de simplement trier ses déchets, faire du covoiturage, ou s’insurger sur les réseaux sociaux contre la déforestation tout en continuant à consommer des produits à base d’huile de palme, c’est un changement beaucoup plus large, fondamental et constructif de nos attentes et de nos modes de vie qui doit s’effectuer ; une révolution plus intérieure, comme le prolongement de cette introspection que beaucoup ont réalisé ces dernières semaines.

L’urgence est là ! Elle n’est pas que climatique, écologique, sociale ou sanitaire. Elle est multiple, elle est tout cela en même temps. L’urgence est globale et se définit parfois ici, parfois ailleurs. Une somme de signes qu’il faudrait peut-être essayer d’arrêter de combattre pour s’attaquer plutôt à une cause globale. Un dénominateur commun qui n’est autre que nous même, ou plutôt qui n’est autre que cette schizophrénie universelle qui nous définit en tant qu’homme. Un malaise parfois ressenti, parfois avoué, mais rapidement étouffé par notre quotidien. Une névrose qui s’installe alors et qui nous rappelle à voix basse, ou peut-être de manière plus continue et inconsciente d’où nous venons. Une voix qui nous interroge sur notre perpétuelle soif de conquête, de laisser trace, notre quête individuelle de pouvoir et de toujours plus (plus pour moi - plus que les autres). Ce murmure qui nous renvoie à une double appartenance, et nous pose alors la question : comment pouvons-nous, êtres issus de la nature, nous revendiquer et dans le même temps nous prévaloir d’elle tout en vivant à ses dépens ?

Nous faisons partie de la nature. La nature fait partie de nous. Face à l’urgence, nous savons nous protéger, nous défendre. Face à l’urgence, nous devons la protéger, la défendre.

La ville n’est que le reflet de prises de positions politiques et de répartition de dotations sur des lignes budgétaires répondant à des demandes exprimées par tous ceux qui y vivent et qui correspondent aujourd’hui aux caractéristiques d’un paroxysme général atteint.

Arrêtons alors de permettre le façonnage de cette ville dictée par nos attentes (nos caprices) en exigeant que le débat et les enjeux politiques soient recentrés sur des questions de productivité et de vivacité face à la résilience d’un milieu :

-  Comment permettre l’autonomie relative d’un territoire en introduisant ou en redéfinissant son caractère productif de proximité, qu’il soit agricole ou énergétique ?

-  Quel pourcentage de nature, de réensauvagement est nécessaire, et quelles trames mettre en œuvre pour lutter uniformément contre le réchauffement climatique (et pouvoir enfin parler de biodiversité) ?

-  Comment transformer ou hybrider certains territoires pour réduire la dépendance des métropoles à certains modes de déplacement ?

-  Quelles nouvelles typologies de logements proposer pour concilier la volonté toujours grandissante d’un habitat individuel et la lutte contre l’étalement urbain ?

-  Quelles sont les parcelles sur lesquelles il sera demain encore acceptable de construire et quels types de projets doivent être priorisés ?

Il s’agit ici d’encourager de nouveaux modèles de consommation, de vie et de vivre ensemble.
Il s’agit ici de travailler à la redécouverte d’une globalité, à la fabrication de nouvelles interconnexions entre un savoir, une culture, un patrimoine complexifié et une nature ancestrale transgressée.

Il s’agit ici de retrouver une unicité avec le milieu ; unicité qui doit être la préoccupation sans faille pour l’adaptation et l’évolution salutaire de nos villes.

Hugo Franck, Mai 2020
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