Depuis quand l’espèce humaine transforme-t-elle les ressources naturelles systématiquement en déchets par une sur-exploitation indécente? Que s’est-il passé pour qu’elle devienne une espèce aussi destructrice? Cela met en évidence l’absence aujourd’hui d’une métaphysique adéquate de la nature, et par extension de la matière qui en est l’organe de transmission.
Les peuples premiers vivaient, et beaucoup vivent encore, cette métaphysique de la nature, une relation expliquée avec précision par chaque groupe et définissant les responsabilités et la qualité véritable de ce vaste tissu d’échanges cycliques qu’entretient l’humanité avec les éléments, la Terre et tout ce qui y vit. Il s’ensuit inévitablement que toutes les formes et les êtres de la nature sont tenus comme sacrés et donc traités avec respect. De la même façon, tandis qu’un être humain, au centre, possède en lui quelque chose de ce Mystère qui l’entoure, il ou elle ne fait pas seulement partie de l’univers mais est UNavec lui. Lorsque ce sens du sacré est perdu, il reste peu de choses capables d’endiguer notre dilapidation des ressources.
C. Démocrite, philosophe matérialiste et atomiste antique : “le mouvement atomique est “l’âme universelle”.
Diderot, écrivain philosophe, voit l’image de Dieu dans l’animisme universel.
Louis De Broglie, prix Nobel de physique : “Les profanes ne savent peut-être pas assez combien les nouveaux aspects de la physique sont étranges et combien ils remettent tout en question”.
Arne Naess, philosophe : “Penser l’indistinction entre les êtres humains et la nature - une sorte de continuité fondamentale entre tout ce qui est”.
Philippe Descola, anthropologue : “l’opposition entre «nature» et «culture» n’est pas universelle, elle doit laisser place à d’autres formes de relations entre les hommes et leur environnement.”
Dans une approche matérialiste, il semblerait donc qu’un tout supérieur soit considérable. La transformation de nos futurs modes d’existence passera par la création de nouvelles cosmogonies basées sur une sacralisation de la matière.
B. Il fut un temps où la matière était tellement centrale, qu’elle devenait le dénominateur commun pour toute une époque dans l’histoire de l’Humanité. Les âges de pierre, du bronze et l’âge du fer.
A partir de l’Antiquité et jusqu’à nos jours d’autres caractéristiques sont privilégiées pour décrire une époque. Par contre les interrogations sur les matières utilisées, leur origine, la qualité et leur empreinte environnementale sont devenues de plus en plus nombreuses.
La traçabilité s’est imposée.
Peut-être que les historiens dans le futur choisiront d’appeler notre époque l’âge des énergies fossiles, ou celui des polymères, puisqu’il en existe des naturels ET des synthetics, ou encore l’âge des plastiques. Et pourquoi pas l’âge du bois ?
C’est déjà plus compliqué.
Le bois sert depuis la nuit des temps, à construire des radeaux et des voiliers, pour l’habitat et le chauffage… D’ailleurs, dans la sélection de matières de constructions il suscite de nouveau de l’intérêt ici et là, vu ses qualités inégalées.
Le bois sculpté, peut-être peint, sert de passage de témoin. Ces masques et totems, objets sacrés de rituels, nous transmettent le vécu d’autres identités.
Mais depuis déjà plusieurs décennies, le bois - cet univers sacré, magique, hanté - est devenu aussi un des principaux indicateurs de dégradations de l’environnement et de déséquilibres dangereux. Haïti n’a plus d’arbre !
K. « Nous sommes tous des poussières d’étoiles », cette phrase d’Hubert Reeves, résume à la fois notre grandeur et notre insignifiance. Nous avons mis notre grandeur dans la conception de machines fantastiques pour améliorer notre quotidien, conquérir l’espace, accéder au monde de façon quasi-instantanée... Dans cette course à la grandeur, nous avons placé notre insignifiance dans la matière, devenue un vulgaire support, un argument marketing... Totalement assujettie à notre société de consommation, la matière est parfois encensée, parfois diabolisée, par le même esprit qui l’a façonnée.
Tout ce que nous concevons raconte notre histoire commune. Est-ce cette histoire que nous voulons raconter ? Celle où nous utilisons des organismes vivants, qui, issus d’un processus de plusieurs dizaines de millions d’années, ont formés l’énergie animant notre monde moderne, pour concevoir des objets dont la durée de vie est de quelques heures. Dans notre quête du Progrès nous avons oublié que la matière n’est ni diabolique, ni géniale, elle est ce que nous en faisons et c’est en ce sens que nous devons lui redonner sa sacralité.
G. A Toi, petit grain de poussière, que chacun de nous porte en lui depuis 13 milliards d'années !
A Toi, qui est notre toit, nourriture, couverture, air et mouvement !
Ô omniprésent, ô infiniment petit, ô infiniment grand, ô indéfinissable !
Toi seul qui peut nous unir, Toi seul qui peut nous anéantir !
Nous te bâtissons un temple, où tes mérites seront loués.
Nos prières seront des gestes, articulés par nos mains, animés par nos savoir-faire. Car ton esprit est tangible et sera perpétué à travers le temps et l'espace.
Nous serons tes gardiens fidèles, les gardiens de ton temple mobile qui sillonnera le monde pour porter la bonne nouvelle : la matière est éternelle si nous apprenons à la valoriser, à la considérer, à la respecter. Ainsi les morceaux seront recollés, ainsi nous redeviendrons UN !
Si tu te souviens que nous sommes UN, chacun de tes gestes sera une prière.
N. Transfolab
C'est un lieu muni de mini-équipements écologiques et civiques, utilisant de manière réversible les sites urbains, qui favorise les circuits courts, la solidarité, l'éco-conception, la transmission de savoir-faire et de pratiques responsables, et l'apprentissage de nouveaux métiers et emplois. Dans ce lieu des nouvelles dynamiques, la temporalité est autre. Ici il y a permission - et même l'obligation - d'explorer la matière, de la toucher, de la questionner, de se l'apprivoiser à travers des prototypes qui permettront des choix plus durables et responsables.
Le confinement à fait chuter le productivisme imposé laissant place à une disponibilité sensible. Nous sommes à un moment idoine pour renforcer les pratiques autonomes nous permettant de reprendre la main sur nos vies, de réinventer nos espaces et nos outils. Le Transfolab est un espace-temps pour renverser les imaginaires de la peur.
Dans cette démarchandisation nécessaire de notre société, le Transfolab a pour but de repenser (à son échelle) notre rapport à la matière, en cela il partage avec le don le principe fondamental de remplacer le bien par le lien. Ainsi, il vise à rendre sa place à la matière pour qu’elle soit constitutive des liens sociaux au lieu de participer à leur destruction.
Catalina Trujillo, Bérenger Chaumont, Kristina Hakala, Grégory Lebourdais, Nastia Yombo, Mai 2020