◀︎  Et demain

12 mai 2020

As light as possible ! *

DATA ARCHITECTES


Ecole de plein air de Suresnes  - Eugène Beaudouin et Marcel Lods architectes, Huisseries Jean Prouvé  - Construction mars 1932 - novembre 1935

Crainte du pire vs. “Jours meilleurs”.

Pour paraphraser les mots de Michel Houellebecq dans une lettre écrite il y a quelques semaines en réponse à des amis, au sujet de la pandémie que nous vivons, nous ne croyons pas nous non plus aux déclarations du genre « rien ne sera plus comme avant ». Trop péremptoire, trop plein d’une certitude troublante dans des temps pourtant si incertains.

"Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire". Michel Houellebecq.

Si nous ne souhaitons évidemment pas que ses sombres augures, empreints certes de lucidité mais également d’une absolue forme de résignation et de désespoir, deviennent réalité et lui confèrent valeur d’oracle, nous avons un cependant un doute immense, presque un vertige, quant à notre capacité collective à ne pas retomber aussitôt la menace éloignée dans nos coupables travers d’ailleurs si bien énumérés au gré des riches contributions déjà soumises sur cette plateforme.
Pour imaginer demain donc, pas de révolution qu’elle soit verte, rouge, ou bleu marine, pas de table rase non plus, mais plutôt l’ambition mesurée d’une inflexion de notre trajectoire pour que notre monde, demain, soit à minima un peu meilleur qu’hier.

Nous pensons alors à Jean Prouvé, l’architecte des « jours meilleurs », à sa foi en un monde meilleur, à ces temps pourtant pas si éloignés baignés d’un optimisme illimité et d’une croyance indéfectible dans les possibles du progrès.

Nous allons aujourd’hui nous ranger du côté de Prouvé, et laisser le gros orage qui traverse le ciel laver nos pensées de tout spleen houellebecquien.

Voici donc quelques orientations, énoncées ci-après et succinctement développées, pour lesquelles les architectes sont en mesure d’agir et susceptibles de participer, parmi d’autres, à cet urgent et indispensable effort d’inflexion d’orientation du monde.

Transformer plutôt que (re)construire.

Nous avons travaillé il y a déjà presque deux ans, avec Raphaël Menard, sur le potentiel de transformation de ce que nous avions appelé dans le cadre de l’exposition qui se tint au Pavillon de l’Arsenal les « Immeubles pour automobiles ».

L’exercice que nous avions mené, en parallèle d’une étude historique et d’un inventaire parisien de ces immeubles d’un type un peu particulier, consistait en l’étude comparative autour de quelques grands archétypes de parkings en superstructure d’un scénario de transformation vs. un scénario de démolition/reconstruction.

Outre les évidentes vertus « économiques » de la transformation, de matière et d’énergie principalement, la nécessité fondamentale de considérer en premier lieu ce qui est déjà-la comme préalable à toute autre forme d’action, cette étude nous a plus généralement confortés dans des intuitions que nous avions déjà, convaincus de l’infini potentiel de la réutilisation.

Plus largement, si nous articulons cette étude avec une décennie de pratique, nous en avons tiré les enseignements suivants :
-  Nous avons à supporter l’héritage du poids carbone des constructions existantes (l’énergie et la matière qu’il a fallu pour les produire), nous avons un passif,
-  L’application d’une pensée constructive basée sur une logique de fabrication rationnelle et « essentielle » dans ses moyens, sans artifice, retarde l’obsolescence des structures et permet d’envisager facilement plusieurs vies pour les bâtiments, nous devons être économes,
-  L’existant est un système complexe, souvent composite, singulier, ses qualités doivent être finement inventoriées pour en déterminer le potentiel, nous devons donc intervenir avec le maximum de retenue et de légèreté,
-  Le système de contraintes de l’existant constitue un formidable terrain de jeu et d’expérimentation, qui autorise le « non-standard » en particulier typologique, nous pouvons inventer.

La légèreté, simplicité et sophistication.


On estime à 30 000 milliards de tonnes l’ensemble des constructions réalisées par l’homme sur Terre dont la plus grande partie a été édifiée dans les 100 dernières années. Bien entendu, cette prouesse herculéenne n’a été rendue possible que par l’invention et l’utilisation de machines de plus en plus grandes, de plus en plus nombreuses et de plus en plus puissantes donc énergivores.
En France, le choix dans les années 50-60 de l’industrialisation lourde de la construction notamment par le recours systématique au béton (donc lourde également au sens propre), a réduit en nombre la présence humaine sur les chantiers ainsi que le niveau de qualifications de celle-ci. Production à visée quantitative plus que qualitative, standardisation privilégiée au détriment de toute vision prospective, une part du constat que nous pouvons tirer de ce triste héritage semble d’ailleurs également valable pour nombre de nos nouvelles constructions actuelles, en particulier pour nos habitations…

L’exemple de l’industrie automobile, objet de fascination des modernes et en son temps prônée par Richard Buckminster Fuller ou Jean Prouvé, est souvent un bon moyen de comparaison et d’analyse des évolutions contemporaines. Depuis 1950, le poids moyen des voitures a constamment grimpé, passant de 846 kg en 1953 à 1283 kg en 2012.  Bien entendu, les équipements de confort, de sécurité, d’assistance ont été démultipliés, les industriels ont très récemment entamé un travail de réduction des émissions de CO2 des véhicules mais aujourd’hui, pour nous rendre d’un point à un autre, force est de constater que nous déplaçons 52% de matière en plus, nécessitant donc toujours plus d’énergie.

Aujourd’hui, tout comme la voiture, nos bâtiments ne sont-ils pas devenus de plus en plus consommateurs de matière ? Toute cette matière qu’il faut extraire, déplacer, usiner, soulever et enfin installer.

“How much does your house weigh?”.  R. Buckminster Fuller.

Cette question du poids propre des constructions, nous semble être le second grand terrain de jeu potentiel pour travailler à des formes de constructions plus économes et vertueuses.
Elle appelle en effet directement plusieurs autres enjeux connexes, complémentaires, qu’elle peut sinon commander en tout cas au moins maîtriser :
-  L’économie de matière / matériaux, la raréfaction des ressources,
-  Les éléments et les assemblages, et par extension les modes constructifs (filières, préfabrication, performances, dimensions, outils …),
-  Le triptyque process de production (énergie) / mode de transport (géographie) / mise en œuvre (travail – main d’œuvre), dans le même souci d’économie,
-  La mobilité et la simplicité des dispositifs, mouvement et flexibilité, mécanique vs. domotique,
-  La place et l’intégration de la technique, à travers elle la question du confort.

Si l’on grossit quelque peu le trait, on pourrait sans doute émettre l’hypothèse que construire « le plus léger possible » (pour le neuf comme pour la transformation) répond à l’articulation entre deux termes à priori peut-être contradictoires, simplicité et sophistication, dans sa forme comme dans les moyens mis en œuvre, la légèreté se référant à la fois aux systèmes les plus essentiels et primaires (pour ne pas dire primitifs) comme aux dispositifs les plus élaborés et techniques.


Pour demain, “less but better”.


En forme de conclusion de ces quelques réflexions nées du travail à distance, d’une possible trop longue phase contemplative et d’une infinie admiration pour le travail de Dieter Rams, l’idée émerge en creux que demain devra certainement se faire avec « moins » plutôt que « plus », avec ce qui est déjà-la et surtout « mieux » qu’avant.

DATA, Mai 2020 

* Aussi léger que possible !