Architecte, toujours charrette
Alors que nous vivons tout au long de l’année les délais toujours raccourcis et la pression du travail qu’il faut rendre vite et bien, le confinement nous fait vivre un autre rapport au temps.Je suis architecte. Je suis associée de l’agence Méandre-ETC qui depuis plus de 20 ans défend une architecture bioclimatique, écoresponsable, frugale.
Confinée, retirée
Le confinement me sort de la pression sociale. On nous ordonne de rester chez soi. J’y reste.Je suis inatteignable, dans mon appartement au-dessus du parc des Beaumonts avec le bruit nouveau du vent dans les arbres que nous n’entendions plus avant à cause de la rumeur de la ville, des autoroutes même lointaines, des avions, des trains, des scooters, du bruit incessant des transports.
Je reste à la maison en télétravail, reliée au monde par le seul téléphone et le seul ordinateur. Il suffit de débrancher tout cela et je suis tranquille.
Ne rien oublier
Le temps si compté, les délais impossibles que nous devons tenir dans nos missions de maitrise d’œuvre d’architecture qui comprend aussi la coordination avec les bureaux d’études, qui ont leur propre temporalité, la production des dessins et l’écriture des notices pour défendre le projet, les descriptifs pour décrire exhaustivement l’objet final que nous cherchons à construire. Nous sommes en phase DCE d’un projet d’école et il ne faut rien oublier. Car cela entrainerait ensuite des TS, les fameux travaux supplémentaires pour lesquels nous serions blâmés. Ah les architectes ! Ou encore des désordres, de lourdes responsabilités si l’on déroge aux normes. Et nous serions condamnés. Ah les architectes !Je me demande parfois si les maitres d’ouvrages se rendent compte de la complexité spatiale, matérielle, technique qu’il y a à concevoir, à visualiser et à décrire en 2D un projet : les plans et les pièces écrites. Le bâtiment est un ouvrage réunissant tant d’aspects spatiaux, constructifs, sanitaires, sociaux, économiques, environnementaux, règlementaires, artistiques, … dans lequel des hommes vont vivre. Chacun avec ses besoins spécifiques et son esprit critique. « L’architecte a oublié ceci, cela». Ah les architectes !
Gare à l’inspection
Ces pièces seront relues par de multiples inspecteurs, instructeurs, contrôleurs qui regardent chacun un aspect bien spécifique (2 fois spécifique dans un seul texte !) à l’exception des autres contraintes alors que nous essayons de concilier le tout. Alors bien sûr, ils voient des erreurs. Personne ne peut tout savoir, tout maitriser, les architectes pas plus que les autres ! C’est un travail d’équipe, et certains de ces partenaires jouent le jeu de chercher avec nous des solutions. Mais avec d’autres, c’est direct la sanction. Ah les architectes !S’offrir un peu d’air
Alors, …. le DCE que nous devions rendre le 15 avril sous la pression.Grâce au Covid 19, nous avons repoussé cette date au 30 avril pour faire les choses bien
Et là, arrivant à la date butoir, nous nous offrons encore une petite semaine pour mieux travailler.
Si l’on pouvait garder, à l’heure du dé-confinement, le droit de prendre un peu plus le temps ?
Emmanuelle Patte, Méandre-ETC architecture, urbanisme et environnement, Mai 2020