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© Morris & Renaud, architectes
Réinventer le “monde d’après“ ? Pas sûr que la crise sanitaire nous apprenne sur la ville, l’immobilier et l’architecture tant de choses que nous ne sachions déjà … avant ! À commencer par l’urgence écologique qui s’impose et n’aura pas faibli avec l’irruption du coronavirus.
Une démarche bas carbone et respectueuse des ressources
Qu’il s’agisse du Plan Bâtiment Durable, du Plan Biodiversité visant à limiter l’artificialisation des sols, de la toute récente loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, jusqu’à la Cour des Comptes qui préconise de valoriser, muter, réhabiliter plutôt que construire neuf - pour ne citer que ces quelques exemples - c’est bien à la frugalité et à la modération que nous sommes invités désormais.De ce point de vue, la rénovation du parc existant, et donc la limitation des démolitions considérée comme l’un des principaux leviers de la neutralité carbone, apparaît aujourd’hui comme une évidence.
La consommation énergétique et l’émission de CO2 d’un bâtiment en phase d’exploitation sont déterminantes dans son bilan environnemental mais l’impact de la construction elle-même l’est encore bien davantage. Ainsi l’impact de la construction dans le secteur tertiaire représente plus des trois-quarts du bilan carbone d’un m2 construit sur cinquante ans. Les calculs sont sans appel : casser pour reconstruire, c’est émettre encore plus de CO2 que ne le ferait la construction d’un bâtiment neuf sur un site vierge.
À côté de l’enjeu du carbone, la préservation des ressources naturelles est l’autre objectif majeur de la démarche visant à rénover, réhabiliter, restructurer ou reconvertir le patrimoine existant plutôt que démolir et reconstruire à neuf.
À titre d’illustration, les déchets produits par le secteur du bâtiment représentent 42 millions de tonnes par an, dont plus des trois quarts proviennent des travaux de démolition.
Dès lors, il convient de considérer toute construction existante comme une ressource physique, une matière première au sens propre. De même qu’il est d’usage de dire que l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas, le matériau le plus économique est celui qui est là, déjà mis en œuvre, à conserver ou à réutiliser.
Un gisement de valeur
Sauf exception, démolir un bâtiment de trente ou quarante ans d’âge n’a aucun sens en terme d’amortissement alors que la durée de vie conventionnelle d’un bâtiment tourne autour de cinquante ans, et beaucoup plus pour ce qui est de ces composants structurels.Vertueuse en matière de développement durable, la revitalisation des actifs immobiliers n’est pas antinomique, bien au contraire, avec la notion de (re)création de valeur. Plus encore que la simple mise à jour d’un patrimoine en voie d’obsolescence, la démarche de réhabilitation permet d’envisager d’accroître le potentiel de l’existant par différents moyens, à adapter finement en fonction de chaque situation. Parmi ceux-ci : la mise en valeur d’une qualité architecturale préexistante … ou la métamorphose d’une construction sans attraits, la transformation des espaces pour les rendre ouverts aux nouveaux usages, la création de surfaces supplémentaires si le contexte physique et réglementaire le permet, la création de “valeur verte“ en termes de performances environnementales.
Sans compter le fait que bénéficier des caractéristiques d’un bâtiment existant en termes de conformité réglementaire (gabarit-enveloppe, hauteur, densité, prospects, etc.) constitue souvent un avantage déterminant par rapport au neuf.
À tous ces égards, la réutilisation et la transformation de l’existant est donc à considérer comme un gisement de valeur plutôt que comme un poids économique supplémentaire à supporter.
Un enjeu majeur pour les architectes
Du point de vue architectural, qui intéresse au premier chef notre profession, l’intervention sur un état préexistant, la prise en compte du “déjà-là“, constitue un potentiel de créativité qui n’a rien à envier à la conception de bâtiments neufs.Stratifier, sans l’effacer, le nouveau sur l’ancien, révéler le potentiel – parfois inattendu – de ce qui existe, prolonger l’esprit des lieux au travers de nouveaux usages, trouver le subtil équilibre entre mémoire et modernité, s’insérer dans les murs du passé sans arrogance ni vénération paralysante … sont autant de sujets qui doivent mobiliser toute la compétence et la créativité des architectes.
D’une certaine manière, construire un bâtiment neuf est plus aisé : les process sont fléchés, les aléas (théoriquement) maîtrisés, les projets parfois même reproductibles. À l’inverse, lorsqu’il s’agit de restructuration, il faut réinventer en permanence en tenant compte des contraintes existantes, déjouer les imprévus, transformer l’obstacle en atout … autant de règles du jeu qui induisent des démarches de conception agiles et inventives, à l’opposé du standard ou du duplicable qui normalisent trop souvent les projets et les environnements.
Paradoxalement, conserver n’aura jamais été aussi moderne !
Antoine Renaud, Mai 2020