Cette fonctionnalité requiert l'utilisation de cookies
Vous pouvez modifiez vos préférences cookies ici
« Disparue la croyance
Qui permet d’édifier
D’être et de sanctifier,
Nous habitons l’absence. » [1]
Sonner creux
Que d’épiphanies en ces temps de Covid !« La nature aurait-elle une place à jouer dans nos projets ?! Non ?! Il faudrait repenser les logements (plus grands, plus ouverts…) pour qu’ils puissent accueillir convenablement la vie ?! Non, pas possible ?! Il faudrait penser collectif plutôt qu’individu ?! Non, ce n’est pas vrai ?! »
Chers confrères, ne nous emportons pas trop vite ! Attention aux promesses que nous serons bien incapables de tenir. La publication de tous ces manifestes aurait-elle à voir avec cette terrible peur du vide ? Je lis, partout, ce redondant appel à la nature, aux sirènes du fantasme écologique. Le tout par les mêmes qui ont étalé, pendant des décennies, leur béton, leur inox et leur surface de plancher. Méfions-nous de ceux qui se revendiquent de la foi des convertis.
Donc, priorité : ne pas sur-réagir. Le monde souffre de ces réactions hâtives. L’architecture de demain, comme vous l’appelez de vos vœux, n’est peut-être plus la nôtre, celle des architectes. Ce sera peut-être celle du survivant, zombie errant, retrouvant avec bonheur (et sûrement un peu de souffrance) son fantasme de la cabane primitive[2].
Du changement ? Pourquoi pas, il en faut. Mais défendre l’idée d’un changement pour le changement, sûrement pas ! On a le changement précoce ! Toutes les idées sont bonnes à prendre… mêmes les mauvaises ! Mais, encore une fois, attention à la terreur qui succède à la révolution. Surtout quand ces révolutions cachent, en vérité, des solutions surgelées.
Sans évidemment tout balayer d’un revers de la main, arrêtons de faire croire aux néophytes que notre architecture deviendrait vertueuse avec une façade en bois, une toiture recouverte de sedum ou une gestion des eaux pluviales par des noues paysagères. Arrêtons aussi de NOUS mentir en s’extasiant devant tous ces petits gestes... Nous luttons déjà tous pour respecter les règles qui nous sont imposées, pris en étau entre la volonté publique - qui a le bon rôle de celui qui en veut toujours plus - et celle du privé - qui, parfois, en voudrait toujours moins. Et tout ça pour quoi ? En faire le minimum ! Car, ne l’oublions pas : la règle, c’est le minimum ! Donc, avant de penser demain, pensons aujourd’hui !
Voilà, ça c’était pour le coup de gueule ! Maintenant la proposition…
Faire le vide
Inspirer… Expirer…
Il va redevenir vital de reprendre son souffle et d’arrêter de réfléchir par le prisme de la crise. Cette obsession de la réaction pèse sur nos cages thoraciques plus que toutes les maladies du monde. Nous reprochera-t-on d’avoir habité l’absence pour nous ressaisir ?
Cette crise fabrique du déséquilibre. Par nature, nous ne la contrôlons pas. L’architecte, figure tutélaire des professionnels du contrôle n’a pas pour habitude de ne pas penser et craint peut-être la perte de son pouvoir absolu. Mais, tout comme il faut accepter d’être mortel, il va falloir accepter et surtout prendre en compte cette nouvelle anarchie. Car l’architecture de demain n’est certainement pas celle d’hier avec ou sans crise.
Et si plutôt que de nous interroger sur une nouvelle façon de concevoir - qu’on ne contrôle déjà pas beaucoup - nous nous interrogions sur notre propre rôle dans le monde de demain ? Car c’est peut-être la place de l’architecte elle-même qu’il faut repenser.
Nous devons continuer à réfléchir - espérant de tout cœur que nous n’avons pas attendu la crise du Covid pour le faire - à notre façon de concevoir mais aussi, peut-être, à notre façon de nous organiser. L’ordre devrait songer à se désordonner pour faire émerger une nouvelle organisation portée par une pensée dé-corporatisée.
Au cœur de cette réflexion réside, me semble-t-il, l’enseignement en architecture. L’infantilisation des études, la résurgence des rapports maîtres-étudiants, la défiance face à la jeunesse, la suppression progressive de leur espace de liberté à la fois physique mais aussi d’expression, sont autant de facteurs qui obstruent la pensée. La pensée a besoin du vide et c’est notre responsabilité que de l’accorder à nos étudiants. Les réponses ne viendront pas des architectes, des urbanistes, des ingénieurs, des professionnels de l’immobilier et des acteurs de la fabrication de la ville. Les réponses viendront de ceux qui ne sont pas encore architectes, de ceux qui n’ont pas leur carte du Parti, de nos étudiants. Elles émaneront de ceux qui viennent de naître, de ceux qui oseront nous dire en face « Vous avez tort ! ». Ah… j’aimerais tellement pouvoir citer ceux qui ne parlent pas encore…
Donc arrêtons de jouer les démiurges parés de maîtrise et de contrôle et libérons-nous de nos vieux réflexes. En clair, faisons le vide !
Page blanche
N’ayons pas peur de ne pas savoir de quoi demain sera fait… Pas de Madame Irma, s’il-vous-plaît. Ayons confiance dans le rôle que nous pourrons y jouer, en tant qu’architectes mais, peut-être encore plus, en tant qu’êtres pensant.
La nature, elle aussi, comme nous le rappelle Aristote, a horreur du vide. Pourquoi en aurait-elle horreur ? Tout simplement parce qu’elle le remplit. Et si elle le remplit c’est que la nature est dépendante de ce vide.
Mettons en application ce que l’on appelle tous de nos vœux. Arrêtons de construire. Arrêtons d’empiéter sur cette nature que l’on veut tant protéger. Les surfaces, nous les avons. Les volumes, nous les avons. Les matériaux, nous en avons déjà fabriqués cent fois trop. Assumons enfin le fait que l’architecture est, par essence, contre-nature. Sans tout arrêter net, commençons à penser la compensation. A chaque page écrite, une page blanche !
Une page que l’on ne s’approprierait pas, qui serait laissée nue pour d’autres ou même pour personne. Et si, en écho au manifeste du tiers paysage[3] qui a clairement fait mouche, nous nous interrogions sur un tiers espace, sur un tiers usage et, finalement, sur une tierce architecture ? Fabriquons ce vide.
Et fabriquer le vide, ce n’est pas juste fabriquer des surfaces ou des volumes capables. C’est, surtout, ne pas fabriquer. Au-delà même de l’idée du geste modeste, c’est celle de l’absence de geste !
Entre le rien et le presque rien, l’architecte d’aujourd’hui est peut-être celui qui ne fabrique plus mais qui recycle. Il ne fait plus œuvre, il magnifie ce qui existe. Il perd de sa toute puissance prométhéenne - fabriquant tout depuis rien - pour modestement réintégrer les rangs d’une chaine bien plus complexe mais plus intelligente. Nous sommes en manque de philosophes du recyclage. Le recyclage est une pensée dévalorisée car il est, souvent, la nécessité de celui qui n’a pas ou de celui qui ne peut avoir. L’architecture ne serait plus le résultat mais le processus, elle ne serait plus l’œuvre mais l’outil qui sert à la créer (cf illustration).
Enfin passer de l’architecture sans architecte[4] à l’architecte sans architecture !
Pas à un paradoxe prêt ! Me voilà pris à mon propre piège ! Noircissant une page qui aurait très bien pu rester blanche…
Vincent Chevalier, Mai 2020
[1] - Extrait de Configuration du dernier rivage, Michel Houellebecq, Éditions Flammarion, 2013.[2] - Essai sur l'architecture, Marc-Antoine Laugier, 1753.
[3] - Manifeste pour le Tiers paysage, Gilles Clément, 2004.
[4] - Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture, Bernard Rudofsky, 1964.
Illustration : Architecture Spray, Vincent Chevalier et Nicolas Ratival, 2017