10 mai 2020

Après la crise : pour un urbanisme démocratique

iudo

Alors qu’en cette période de confinement, plusieurs études font état d’un regain de désir des français pour la maison individuelle - ou du moins pour les qualités qu'elle peut offrir en terme d'espaces extérieurs, de verdure et de moindre densité - la question du modèle de nos villes (re)surgit avec force dans le débat public et médiatique. L’attrait des français pour les maisons est pourtant loin d’être un phénomène nouveau. Avec près de 3 français sur 5 habitant en maison (chiffre INSEE), l’habitat individuel représente déjà la majorité du parc de logement. Combiné à une forte croissance démographique, cet attrait a été - et reste - l’un des principaux moteurs de l’étalement urbain. Dans l'agglomération parisienne, plus de 83% des habitants*(chiffre INSEE) résident ainsi en petite et grande couronne. La maison est déjà une réalité pour une large majorité de français ; le péri-urbain l’espace quotidien du plus grand nombre.

Une transition écologique et énergétique significative ne pourra donc véritablement avoir lieu que si nous agissons de façon transversale sur l’ensemble de cette vaste nappe urbaine, composée en majorité de zones pavillonnaires. Limiter l'artificialisation des terres agricoles nécessitent l’optimisation et la densification des quartiers déjà urbanisés ; Baisser la consommation énergétique du parc bâti, une rénovation massive des logements ; Réduire la dépendance aux déplacements automobiles, une diversification des fonctions et services au sein des quartiers résidentiels. De telles transformations ne pourront véritablement avoir lieu que si nous repensons en profondeur la culture de l’aménagement urbain et des modèles économiques qui les sous-tendent. Alors que les projets urbains actuels ont tendance à se limiter à des périmètres circonscrits dans l’espace (ZAC, PUP, etc.), en y concentrant les financements, les programmes et les profits, la transformation de la ville invite au contraire à une décentralisation des investissements, en faveur d’actions probablement plus modestes, mais plus nombreuses et plus re-distributives.

Un certain nombre de nouvelles pratiques qui se sont accentuées durant cette crise, laissent présager que de telles trajectoires ne sont pas si utopistes :

  • - L’avènement du télétravail accélère des mutations qui étaient déjà à l’œuvre, en réduisant la dépendance aux polarités d’emplois tertiaires et aux mouvements pendulaires qu'elles entraînent. Le développement de bureaux de proximité notamment à destination de salariés en télétravail et indépendants pose la question des immeubles 100% tertiaires et de leur rentabilité dans les années à venir.

  • - L’essor des fablabs et des « makers », qui se sont mobilisés en un temps record durant la crise pour la production de masques, de visières et autres objets à partir d’imprimantes 3D ou de simples machines à coudre, et ce dans des ateliers souvent informels ou des maisons, interroge le modèle des zones d’activité isolées de la ville (voir la tribune de SYVIL)

  • - Le développement de nouveaux modes de distribution tels que les circuits courts et les AMAP mais aussi la croissance du commerce en ligne et l’émergence des "drive piétons" et "click&collect" développés par la grande distribution (sortes de points-relais franchisés) interroge l’avenir des zones commerciales et l'étendue de leur zone de chalandise.
Cette émancipation de programmes auparavant fortement dépendant de centralités physiques peuvent devenir de véritables outils au service d'un développement local et dézoné - c'est à dire plus mixte - des territoires ruraux et périurbains.

A ce titre, les quartiers pavillonnaires présentent un énorme potentiel pour porter et accueillir ces transformations. Ces matrices de petites parcelles individuelles offrent des nombreuses opportunités pour l'élaboration de nouvelles formes d’habiter, l’accueil de nouvelles fonctions et l’invention de nouvelles typologies d’architectures, tout en conservant une forte présence de jardins et de pleine terre et sans avoir été planifiées dans un plan d'ensemble. L’initiative et la mobilisation de leurs habitants sont l’une des clés pour y parvenir. D’une part parce qu’ils en sont les principaux détenteurs (en Ile-de-France, prêt de 9 habitants sur 10 sont propriétaires de leur logement), d’autre part parce que de telles approches peuvent constituer des réponses à un certain nombre de problématiques écologiques et sociales, en particulier celles liées au vieillissement de la population, à la réduction de la taille des ménages et à la rénovation énergétique du parc privé. Sans passer par le systématisme de la division parcellaire, l’autre pendant de ces initiatives doit s'appuyer sur l’émergence d’un écosystème dédié à travers notamment de nouveaux services immobiliers, mais aussi sur le soutien de nouvelles politiques publiques telles que par exemple :

  • - L’adaptation des règlementations d’urbanisme, pour permettre plus de mutualisation au sein des quartiers pavillonnaires ; en particulier sur le sujet de la mobilité avec, par exemple, la création de parkings de proximité / mobilité partagée afin de desserrer l’étau de la voiture qui pèse très lourdement sur la création de nouveaux logements dans le cas de petits terrains.

  • - La création d’un statut juridique « d’habitant promoteur » (ou « micro-promoteur »), qui permettrait de fixer un cadre légal aux initiatives individuelles et pourrait imposer le recours à un professionnel garant de la qualité de l’opération si la construction est destinée à autrui (location ou vente).

  • - La mise en place d’un fond pour la transformation écologique et sociale des quartiers pavillonnaires destiné par exemple à l’amorçage des projets (études préalables), à l’image de l’écosystème de soutien à l'entreprenariat, porté notamment par la BPI (subvention innovation amorçage, etc.).

Faire une surélévation pour accueillir de nouveaux logements, étendre et transformer une maison en en plusieurs habitats avec un jardin partagé, réhabiliter un garage en bureau de proximité ou en atelier de quartier ; construire un nouveau bâtiment dans une dent-creuse…en somme favoriser les initiatives des habitants dans des projets de densification et de développement local, pourrait permettre d'ouvrir le nouveau chapitre d’un urbanisme solidaire, démocratique et profondément durable.

iudo, Mai 2020
Benjamin Aubry, Nicolas Bisensang, Erwan Bonduelle
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