Le bâtiment rural vacant d’aujourd’hui, une potentielle ressource pour demain.
Illustration Violette Soleilhac
Illustration Violette Soleilhac
Au-delà de l’engouement théorique sur la question du rural que l’on observe depuis quelques années, c’est aujourd’hui une urgence sanitaire qui montre tout l’intérêt des territoires ruraux. Face à une épidémie mondiale qui contraint de nombreux pays au confinement, bon nombre de populations urbaines choisissent un isolement rural. En Europe, les maisons secondaires et maisons familiales situées dans les zones détendues se sont donc vues réinvesties en l’espace d’une semaine. À l’image du réseau internet pleinement sollicité durant cette période inédite, les campagnes adoptent le rôle de refuge pour braver cette obligation du «restez chez vous». Alors le semblant d’exode urbain initié par la propagation du Covid-19, ne montre-t-elle pas toute l’importance des campagnes qui joue aujourd’hui le rôle de deuxième domicile ? Là où l’on peut avoir un espace vert, une densité moindre, et la possibilité de tuer le temps autrement. Cette actualité vient directement mettre à mal les propos de certains théoriciens qui s’accordaient à dire que cinquante ans de périurbains allaient faire disparaître le rural(1). En effet, si tant de citadins choisissent de se confiner hors des grandes aires urbaines, c’est qu’ils trouvent dans l’espace rural davantage de qualités et d’aménités propices à un confinement moins difficile à assumer qu’en plein centre-ville. «Nous vivons en direct la revanche des lieux où l’on dit que ‘tout est mort’ à l’année, et qui aujourd’hui ne sont pas, ou peu, inquiétés» se plaît à écrire la poétesse auvergnate Cécile Coulon dans une lettre adressée à France Inter(2). Complément des aires urbaines, le rural prend ainsi la relève quand l’urbain se fige. Ces mouvements de populations montrent toute l’importance des maisons secondaires, des gîtes, et des maisons en location dans les zones rurales. Mais si ce retour au rural s’observe le temps d’un confinement, le temps d’une crise sanitaire, le temps d’un passage, aura-t-elle un réel effet sur les parcours résidentiels futurs alors davantage dirigés vers les territoires ruraux ?
Si le caractère inédit de l’épidémie de Covid-19 change totalement les habitudes quotidiennes de toute une population, il est tout aussi inédit d’observer autant d’engouement pour les campagnes. Mais que cela dure quatre semaines ou trois mois, qu’importe, ces changements de situations ne sont finalement que passagers. Néanmoins, n’aura-t-on pas des leçons à tirer de cet évènement, les campagnes n’ont-elles pas tout intérêt à miser sur leurs singularités pour se préparer davantage à l’afflux de populations urbaines au pire durant des crises sanitaires, au mieux lors de changements de parcours résidentiels ? L’habitat rural est donc essentiel pour accueillir de nouveaux résidents, qu’ils soient passagers comme permanents. Face aux changements climatiques, les campagnes ont tout intérêt à développer leur offre d’habitat en accession comme en location, c’est entre autres par ce programme que leur avenir sera en phase avec les problématiques sociétales et environnementales futures.
Alors, même s’il y a encore la nécessité de construire des logements, l’enjeu principal est en effet celui de la transformation et de la répartition de l’existant, de la lutte contre la précarité énergétique ou encore de l’adaptation environnementale. L’enjeu est donc de parvenir à combiner de nombreux objectifs condensés entre autres par la proposition de repenser les campagnes sur elles-mêmes. En effet, si l’espace rural doit avoir une offre de logement diversifiée pour se préparer aux demandes croissantes de résidents et de touristes, cela nécessite dans un premier temps de se positionner sur les orientations urbaines à adopter ? Quel type d’habitat souhaiterons-nous à l’avenir ? Restons-nous sur un schéma jusque-là fortement utilisé et aujourd’hui pointé du doigt, celui du lotissement en extension des centres bourgs ? Ou bien repensons-nous les centralités aujourd’hui quasiment vidées de leurs habitants ? Dans les deux cas, cela aura un impact réel sur les communes, à court comme à long terme. Mais, si certaines communes commencent à privilégier la régénération des centres bourgs sur eux-mêmes cela n’est pas sans effort, voire même sans sacrifices. Choisir de projeter les bourgs ruraux depuis leurs centres, c’est faire le choix d’un projet à long terme. La valeur et la pertinence de ces interventions se mesurent sur le long terme et par leur addition, elles dépassent les mandats et les projets de courte durée, nous ne sommes pas dans l’immédiateté, mais bien dans la longévité. Or, les communes qui s’y sont attelées prématurément le savent : la multiplication des petits projets finit par faire émerger l’idée d’un projet augmenté qui transcende les questions d’un jour.
Projections fictionnelles pour une vicilisation de Chris Antone(3), postulats de la décroissance prônée par Pierre Rabhi ou encore hypothèses d’exodes urbaines de Charles Sannat, qu’importe le fond et la forme de ces suppositions diverses et variées, toutes convergent sur un même sujet : le retour à une vie rurale. Alors quand bien même il s’agit d’hypothèses que chacun se plie à croire ou non, charge à nous architectes d’imaginer ce que pourrait être l’habitat rural de demain. De nombreuses initiatives menées partout à travers les campagnes françaises apportent d’ores et déjà des éléments de réponses : habitat inversé dans la commune altiligérienne de Craponne-sur-Arzon rendu possible par un bail à réhabiliter, habitat passerelle à Brioude toujours en Haute-Loire, habitat intergénérationnel à la Réole, ou encore livraisons de clos et couvert sans finitions, de demi-rénovations où l’auto-construction partielle commence à être rendue possible par la loi Élan 30(4).
Portes closes, panneaux à vendre et courettes en friche, une vacance, une réalité que bon nombre de bourgs ruraux connaissent aujourd’hui et qui représente les espoirs de demain ceux de la mutation, de la réhabilitation et du renouveau.
[1] LÉVY Jacques et LUSSAULT Michel, Périphérisation de l’urbain, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2013, 1033p
[2] COULON, Cécile, «Nous vivons (...) la revanche des lieux où l’on dit que « tout est mort », Lettres d’intérieur France Inter, 15 avril 2020, disponible à l’adresse URL [https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-15-avril-2020]
[3] ANTONE, Chris, «Vicilisation - La Chute», CRM SECTOR,12 novembre 2019, 267 pages
[4] Article L. 261-15 du Code de la construction et de l’habitation