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« La liberté est une sensation, elle se respire »
Paul Valéry
L'assignation à résidence imposée à une bonne moitié de la planète durant deux mois révèle des formes de sociabilisation inédites. Tout aussi inédites que cette « zoonose » Covid-19, une pandémie 4.0, propulsée autour de la Terre à la vitesse de la globalisation.
Imposées par la lutte contre ce nouveau coronavirus, les règles de distanciations sociales combinées à un désir légitime de vivre un tant soit peu le dehors, renouvellent les règles du partage de l'espace privé et public.
Dans l'interstice de ces deux territoires de la vie, le plus flou et le plus réduit, celui du « commun » au sens défini par l'économiste Elinor Ostrom [1] s'avère foncièrement réinterrogé. A nouveau usité et éprouvé, ce « bien de communauté » s'illustre ici par une arrière cour bitumée encadrée de garages, là par le jardin d'une résidence, habituellement fermé aux habitants, là-bas par un « frontage », cette zone verte tampon, la plupart du temps « stérilisée » , au droit d'une façade sur rue...
Tantôt délaissés, tantôt sanctuarisés, ces espaces modestes et non définis font dans ce contexte bien particulier, l'objet d'une réappropriation spontanée. Les habitants des villes, sous une double contrainte, - l'étroitesse de leurs logements et la limitation de leurs déplacements- en révèlent un potentiel insoupçonné.
On ne parle pas ici du niveau zéro de la relation de voisinage, celle qui comme l'écrit le sociologue et urbaniste Richard Sennett citant Georg Simmel « revêt le masque de la civilité » nécessaire pour vivre avec l'Autre. [2]
Les observations certes parcellaires faites pendant la crise sanitaire, décrivent plutôt une forme de « commoning » [3]. L'expérimentation de la gestion collective d'un espace/ressource, qui vaut tant par les usages qui en émergeront, que par le processus de transformation sociale à l'oeuvre.
Or, ces initiatives à la croisée du champ public et privé s'avèrent particulièrement intéressantes de par ce qu'elles déplacent et engagent chez un type de population habituellement éloignée des expériences communautaires comme celles des jardins partagés ou l'habitat groupé participatif...
La motivation, retrouver un contact avec la nature en ville et avec l'autre même à distance, conduit à reprendre place dans la fabrique de l'urbain. Les interstices et autre failles de la ville jusqu'alors invisibles ou figés dans leurs aspects purement fonctionnels sont reconsidérés et repensés collectivement comme des espaces précieux de possibles.
C'est le cas de ce petit parc depuis longtemps sacrifié à l'agrément visuel, envisagé comme l'une des parties communes d'une résidence aixoise. Durant la période de confinement, un groupe d'habitants, de jeunes parents en quête d'un extérieur pour leurs enfants, ont pris l'initiative de le réouvrir... Réactivé ce jardinet jusqu'à présent ornemental, est devenu un terrain de jeux pour tous. Les anciens sont venus, pas à pas, peu à peu et regardent aujourd'hui les enfants qui jouent. Les conversations se sont nouées entre générations, entre voisins. Les jeunes couples proposent leur aide pour faire des courses. Des rendez-vous festifs ont été proposés le soir au balcon : musique, chants... Une présence rassurante pour les plus âgés et distrayante pour les personnes seules.
Cette occupation « non conventionnelle » suscite bien sûr des questionnements sur une ouverture plus large au quartier, le bruit et les nuisances potentielles, sujets qui devront être débattus après la crise sanitaire. La controverse est garante d'un processus créatif et équilibré de prise de décision.
D'ores et déjà envisagée, la pérennisation de ces usages nécessitera a minima une décision du conseil syndical et au-delà, une gouvernance partagée.
Certes limitée dans le temps et l'espace, cette expérience rejoint le propos de Richard Sennett : la compétence du citadin à repousser les murs pour ouvrir la ville.
Anne-Elisabeth Bertucci et Florence Dollé, Mai 2020
[1] Elinor Oström Prix Nobel d'économie en 2009 avec Oliver Williamson pour leurs travaux sur la gouvernance économique.
[2] Bâtir et habiter, Pour une éthique de la ville, Richard Sennett, p. 188. Albin Michel.
[3] Dictionnaire des biens communs, sous la direction de Marie Cornu, Fabienne Orsi, Judith Rochefeld, Puf.