7 mai 2020

L’ensauvagement, le non humain et les zones d’activités

Baptiste Wullschleger, Philippe Benoit et Damien Morel



Schéma de l'ensauvagement, Philippe BENOIT, 2020


Tout le monde aura son idée pour penser le territoire de ces prochaines années. Tout le monde définira ses propres enjeux, ce qu’il pense être l’objectif à atteindre à moyens ou longs termes. Deux notions cependant me semblent faire consensus : l’absolue nécessité d’adapter nos territoires aux dérèglements climatiques, tout en composant maintenant avec la récession.
Continuer à habiter avec les dérèglements climatiques signifie vivre autrement, trouver des stratégies d’adaptation pour l’humain et le non humain, le vivant de manière générale, sans lequel le premier objectif ne pourrait être rempli. Alors, quelle place pouvons-nous lui offrir ? Quels seraient les gains communs de l’ensauvagement?
Par Baptiste WULLSCHLEGER, Philippe BENOIT et Damien MOREL

Et si nous portions un autre regard sur les lieux qui forment les lisières de nos villes? À la manière des petits ligneux (jeunes pousses qui formeront bientôt un bois) qui poussent toujours plus loin à l’avant des forêts, les zones d’activités et le périurbain de manière générale n’ont de cesse de grignoter nos campagnes. Mais à l’inverse des arbres, le mode de vie des pourtours de villes ne semble plus adapté aux problématiques du siècle qui commence.

L’idée d’ensauvagement signifie laisser le vivant reconstituer spontanément des écosystèmes dans les dans les interstices peu utilisés des milieux humains. Le terme est affilié à l’expression anglophone « rewilding[2]». Mais, en se débarrassant du préfixe « re », il fait fi de tout état de référence fantasmé.
L’ensauvagement est une démarche frugale qui préserve l’habitabilité d’un territoire. Ensauvager, ce n’est pas tant « rendre sauvage », mais « rendre au sauvage ». Ce faisant, c’est découvrir à son contact que nous sommes nous aussi des « sauvages ». Comprendre par l’expérience que nous faisons partie intégrante de la « nature ».

Ces espaces partagés par l’humain et le non humain pourraient par exemples être localisés dans les zones d’activités, pourtour générique de nos villes à l’Âge moderne.
Les « Z.A » sont très peu denses, et une grande partie de leurs terrains n’est que réserve foncière résiduelle. Par ailleurs, elles s’étalent sur 10%[1] du territoire français pour une utilisation inférieur à 24% de la semaine. Elles appartiennent au monde des trente glorieuses, dépendant en tout de la voiture. Face au consensus sur la nécessité de décarboner les territoires pour faire face au réchauffement climatique, comment faire évoluer ces 10% d’espaces bâtis?

La zone d’activités est l’un des trois pieds du siège sur lequel s’appuie le mode de vie périurbain, au côté du «pavillon d’habitation» et de la «grande surface». Ce socle, cette structure dont chaque élément est dispersé dans l’espace, est maintenu par le lien du moteur à explosion. Sans cette technologie, les distances s’allongent, jusqu’à devenirs complètement inaccessibles à l’humain. Le périurbain est rendu fragile par sa dépendance énergétique, aux aléas de l’économie globalisée. Il est urgent d’imaginer des solutions pour garder ces lieux habitables, anticiper le monde de demain.

Nous parlions en amont des espaces résiduels, c’est-à-dire de ce qu’il reste comme espace libre sur un terrain une fois le bureau ou l’entrepôt construit. À quoi servent-ils? Dans le fonctionnement actuel d’une zone d’activités, ils sont avant tout un coût d’entretien. Ils ont pourtant l’immense qualité d’être libres de tout programme. Puisque toutes les zones d’activités sont établies selon les mêmes principes, les solutions applicables à l’une sont à priori applicables à l’autre.

Et si l’on laissait ces espaces au vivant, à ce qui est non-humain, que se passerait-il? Presque instantanément, les zones d’activités profiteraient d’un nouveau confort (visuel, climatique, physiologique). Elles deviendraient un refuge pour les plantes et les animaux, qui en recréant un milieu naturel, entretiendraient le terrain et supprimeraient les coûts et la pollution de la maintenance.  Une fois bien installé le vivant garanti la richesse et la diversité d’un territoire. Le vivant est une ressource future qui garantit la pérennité des liens entre l’humain et son milieu, l’habitabilité de ce dernier.

Ce faisant, on inverserait le ratio d’attribution de l’espace du vivant et du non-vivant au sein des espaces extérieurs d’une zone d’activités. Le pourcentage de végétalisation passerait de 20 à 80%. Les plantes, les animaux présents sur le territoire retrouveraient là une place qu’ils ont perdu au fil des siècles. Ils jouiraient d’une relative quiétude, presque semblable à celle d’un bois. Les zones d’activités qui constellent les abords de nos villes deviendraient autant de réserves à partir desquelles les espèces animales et végétales pourraient reconquérir les terres voisines. Des refuges en somme, sans qu’il n’en coûte rien à l’humain, bien au contraire.

Réintroduire le vivant dans ces lieux anticipe le monde de demain. Le non-humain n’y est plus une simple « aménité », il crée les conditions de l’habitabilité présente et future. À courts termes, végétaliser un territoire c’est le climatiser naturellement et le garder vivable au plus fort de la canicule. À longs termes, le végétal régénère les sols, qui peuvent redevenir cultivables par une agriculture qui les respectent.

Dans un futur où les trajets en voiture ne seraient plus aussi systématiques, les bâtiments des zones d’activités pourraient alors accueillir de nouveaux programmes en rapport avec le vivant. Pourquoi pas en fermes permacoles [3]?

Baptiste Wullschleger, Philippe Benoit et Damien Morel, Mai 2020



[1] Selon l’association Orée, « Grenelle de l'environnement - Groupe 6 : « Modes de développement écologique favorables à l'emploi et à la compétitivité », 2007. Le chiffre à vraisemblablement augmenté depuis.
[2] En référence à « Rewilding Europe », organisation à but non lucratif basée aux Pays-Bas.
[3] Permacole : de permaculture.
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