◀︎  Et demain

6 mai 2020

On le fait Ensemble...

Alban Simonet

Architecte
Il est des temps de grands bouleversements que l’on ne voyait pas venir, que l’on n’attendait nullement. Ces temps nous les vivons aujourd’hui.
Toutes crises, aussi violentes soient-elles, sont aussi de profondes sources d’opportunités, de remise en question et finalement de nécessaires évolutions. Cette crise, première du genre, n’y fait pas exception, et il serait regrettable de ne pas en tenir compte et d’en tirer les leçons. En terme urbain, entre autres.

Ce vent du changement, pressenti, vient nous remettre en question dans notre relation au monde, les uns aux autres, à la société, à l’urbain.
La ville a toujours été l’acte inachevé d’une humanité se cherchant un refuge commun où partager, sous toute forme, est la prédominance. Et ce depuis toujours. Elle a évolué mais jamais aussi vite que ces dernières années.
Notre rapport à cette dernière a été changé par les évènements. Nous pensions la subir, et il n’en est rien. La ville ne vit pas sans l’activité, la déambulation, le passage, l’occupation de ses habitants et devient, sous le joug d’une cristallisation commandées, une entité passive.Pour la première fois de l’humanité, à cette échelle, nous avons abandonné nos villes. Temporairement. De ces villes délaissées, entrevues sur tous les continents, il y a une vérité à y lire : Sans ses habitants, la cité n’est plus.
Nous en sommes les principaux moteurs. Et nous devons accepter le fait que cette dernière vive à travers nous. Tout comme nous devons accepter le fait d’en être un rouage primordial.
Ce temps si particulier doit nous permettre de nous remettre en cause en temps qu’humain, c’est un fait. Et en tant qu’habitant ? C’est une nécessité. En tant que créateur ? Un devoir.
En unissant les êtres, les fonctions et les efforts, la Ville s’est faite entité consciente. Intrinsèquement, si nous n’avons jamais réellement voulu le voir, c’est devenu une réalité. Mais elle n’est pas autonome. Elle a besoin de ses utilisateurs pour fonctionner. C’est un organisme à coexistence mutuelle bénéfique.

La ville de demain, nous l'avons toujours entrevu et désiré au fond de nous. C’est ce cocon salvateur et protecteur, que nous pensions ériger jusqu’à ce jour. Maladroitement peut être. Avec beaucoup d’arrogance certainement.
Nous la pensions interconnectée, elle s’est avérée clustérisée. Nous la pensions immuable, elle s’est faite liquide. Nous l’envisagions intemporelle et éternelle, elle nous a montré l’étendue de sa fragilité et de ses limites.
Si l’intention a toujours été louable de vouloir la voir grandir et la faire s’épanouir, la méthode ne l’est plus.
Nous devons repenser notre rapport à la ville, et aiguiser la réflexion que nous lui portions afin de la faire rentrer dans ce nouveau siècle de défis, dont nous n’avons pas vu ni la teneur, ni la complexité. Nous devons réapprendre à appréhender ses espaces, ses flux, sa fonctionnalité. Réintroduire le terrain sur lequel elle s’est érigée, exploiter son essence même pour en revenir aux fondations qui ont permis son érection :
Vivre ensemble, habiter plus, habiter bien.
Il nous faut donc comprendre, et réapprendre, ce rapport étroit que nous avons tissé inconsciemment avec les lieux qui partagent notre existence commune...Et parce que c’est aujourd’hui impératif, nous devons réapprendre avec une humilité absolue.
Les problèmes fondamentaux qui se présentent aujourd’hui, et qui se préfacent dans les prochaines décennies, vont nous obliger à revoir notre approche architecturale. En termes sociaux, relationnels, technologiques, énergétiques et surtout environnementaux.Il n’y a, à ce jour, aucunes contradictions entre Ville et Ecologie. Beaucoup d’incompréhensions, très certainement, de partis pris opportuniste, d’équations économiques tendancieuses. Mais d’impossibilité, surement pas.
Il va nous falloir aller au-delà des clivages, qu’ils soient politiques, philosophiques et financiers. Il y a urgence à repenser notre vision du logement, de l’espace public, et du bâtiment en général pour nous adapter à un avenir où, chose passionnante, tout peut arriver. Il n’est pas trop tard. Trop tard ne peut exister pour qui veut aller plus loin. Trop tard, c’est se battre en s’avouant vaincu. Il est de fait bien assez tôt.

Cela relève aujourd’hui, entre autres choses, d’un double défi : 
- Densifier intelligemment la ville en l’amenant, autant que possible, à une forme d’autonomie environnementale. Utopie peut-être ; mais s’en rapprocher serait déjà une victoire dans une société en évolution hyperbolique. Nous devons aller plus loin dans ce qui est déjà fait. 

- Dédensifier ces lieux ou l’équation écologie/urbanisme n’est pas atteignable afin de ne pas les exploiter, et possiblement les restituer à leur fonction naturelle première. L’étalement urbain, qui est aujourd’hui une norme mondiale, doit cesser. Nous ne pouvons empiéter éternellement sur l’habitat naturel. Ce n’est plus une question de rhétorique, mais de survie. 

Nous entendons parler depuis plusieurs semaines de « désurbanisation », comme l’on parle de « démondialisation ».
Comme si nous pouvions démantibuler la ville, strates par strates, pour en faire quelque chose d’intangible, de délétère. 
De retour en arrière, il n’est guère possible. Et surtout il n’est pas souhaitable. Désurbaniser est une aberration dans cette époque. La ville de demain reste la ville-monde, c’est une certitude. La mienne en tant qu’humain, habitant. La mienne en tant qu’humain, habitant, utilisateur et Architecte. L’approche que nous en avons eu par contre est erronée, irrespectueuse et quelque part égoïste. Il a toujours été question de « je », parfois de « nous ». Il est aujourd’hui question de « nous tous, êtres vivants (ou presque, j’y inclus la sphère sur laquelle nous voyageons) ». Nous avons toujours été tentés de plier la Ville à notre volonté individualiste. Cela ne doit plus être. 

Les chemins qui nous mèneront à résoudre ces nouveaux défis se révèlent déjà extraordinaires.S’ils étaient sous-jacents à nombre de projets précédents, ils vont devenir la principale préoccupation de nos métiers. L’interaction des espaces, la pluralité des programmes et l’imbrication sociale sont les vecteurs primordiaux de cette réflexion.Avec la prise en compte d’une seule réponse à la question « Et demain, on fait quoi ? » :
On le fait Ensemble... 

Alban Simonet , Mai 2020