6 mai 2020

Avant le jour d'après

Marc Mimram

Architecte DPLG
Nous voici tous réunis dans une renaissance, vierges au monde, heureux de l’observer, de le découvrir et malheureux de ce que découvrons.

Faisons semblant d’oublier la part que nous prenons dans l’état des choses.

L’architecture est un art de la transformation
En effet, quelle discipline tant que l’architecture, ordonne la transformation du monde. Elle puise tout ce qui permet de construire dans les entrailles de la planète, modifie radicalement les sites, depuis l’extraction des matériaux jusqu'à l’implantation des ouvrages, des bâtiments, des villes.
Mais à l’origine, cette tautologie : toute matière qui fait architecture est une partie extraite du monde.
Cela nous met dans une responsabilité extrême. Chacun de nos choix est déterminant et engage un processus de transformation radical de la planète :
Prescrire une menuiserie, et la bauxite sort des mines de Guinée pour se transformer en Aluminium après avoir mobiliser une énorme quantite d’énergie.

Proposer la texture d’un béton, et engendrer l’extraction de sable par pompage illicite sur les rives de Birmanie.
Choisir une essence de bois et engager la voie pour arracher l’Azobé du platelage, au cœur de la foret tropicale.

Partout, toujours, un processus de transformation se met en mouvement, souvent bien plus radical que le projet qu’il est sensé construire……
Il s’agit du fondement de l’architecture : sa Matérialité. 
Ce qui lui donne corps. Ce qui permet de la projeter en construction. Cette « Matière à penser » le projet.
Ce premier lien indéfectible à la geographie.
Décideurs, architectes et ingénieurs, nous sommes tous des acteurs de cette transformation de la géographie. Pourquoi ne parle-t-on jamais de ces échelles d’intervention ? Où est notre mauvaise conscience ? L’architecture en responsabilité est essentielle, elle n’exige ni de construire en terre dans les villes contemporaines, ni « un retour à la nature ».
Alors rien dans l’expérience du confinement coronavirien n’a modifié la donne. Rien dans ce qui a construit cette situation n’a changé. Et rien ne laisse penser que « le jour d’après » sera …..« le matin du grand soir »……

Les acteurs de demain sont déjà la. Ils ne se cachent pas. Les forces marchandes du capitalisme cynique version U.S., ou du communisme libéral inique version Pékin, ne sont pas tapies dans les salles d’attente des services d’urgences respiratoires mais elles ordonnent les plantations d’huile de palme pour nos industries alimentaires et aspirent le sable des fonds marins pour nourrir nos constructions.
Alors, ne soyons pas naïfs. Rien durant ces quelques mois de crise ne laisse entrevoir un nouveau rapport de force, une telle prise de conscience (bien tardive) qui laisse augurer d’un réveil enchanté.
Comment croire que nous retournerons a nos ordinateurs, dans une dispositif social si étonnant, que la bureaucratie normative aura disparue, que les circuits courts de matériaux et produits seront privilégiés, que l’industrie aura recouvré les vertus d’un artisanat savant.
Faisons l’analyse de la situation actuelle, trouvons les moyens alternatifs sans imaginer qu’ils s’installeront en dehors du système, ni qu’un entrisme généreux saura le métamorphoser simplement.

Ce travail préalable permettra d’avancer, sinon nous risquons de devoir attendre le jour d’après….le jour d’après…

Amitiés,
Marc Mimram
Bord de Seine, 16 Avril 2020.

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