Unité de vie solidaire et ambitieuse au service d’un nouveau pacte urbain
En ces temps de repliement spatial, nos rêves de plus grands espaces et d’accès à la nature nous poussent à questionner nos lieux et nos modes de vie urbains. Pourtant ces envies, légitimes et nécessaires pour le bien vivre ensemble, nous font courir le risque d’un grignotage toujours plus important des espaces naturels et agricoles. La réponse doit être trouvée au sein de nos espaces déjà urbanisés. Nous proposons ici de se saisir d’un objet structurant de notre quotidien afin de rebattre les cartes de la vie en collectif : la copropriété.
La copro au secours de la ville confinée
Habitants de la ville dense, l’horizon des 4 murs notre petit appartement s’est soudainement distendu quand nous avons pris la mesure des liens de solidarité et de mise en commun qui s’organisaient dans notre copro ou celle de nos proches : accès à la toiture pour un bol d’air quotidien, partage de machines à laver, prêt de l’appartement du voisin parti dans sa résidence secondaire pour qu’un couple avec enfant puisse bénéficier d’un espace de travail au calme, organisation d’après-midi plantation pour entretenir le jardin en cœur d’ilot en l’absence du prestataire de service habituel, courses pour les personnes âgées,…. De multiples initiatives sont nées pour compenser le rétrécissement de nos vies confinées.
D’ordinaire, alors que notre copro nous apparaissait seulement comme une somme d’individus aux intérêts particuliers et aux ambitions fortement limitées par son fonctionnement, elle s’élevait ici au rang d’unité de vie essentielle et originale, à laquelle il était réconfortant d’appartenir dans cette crise d’isolement.
Repenser le statut de la copro au sein de la cité nous est apparu comme un objectif atteignable : premier cercle de relations et de coopérations, lieu d’exercice de la démocratie, nos copro existantes pourraient jouer un rôle essentiel dans la redéfinition de notre environnement mais aussi dans notre participation à tous dans la vie urbaine.
Une unité de vie intermédiaire entre le ménage et la commune
Corps social solidaire qui, à cause du partage d’un toit commun, doit de se mettre d’accord sur des règles et des devoirs, la copro est un lieu où l’on s’exerce à la vie en commun.La crise a exacerbé les besoins quotidiens qui ne peuvent pas toujours être pourvus par le quartier (les pouvoirs publics) ou par le logement (nos ressources privées). Elle a incité les individus à se tourner spontanément vers la copro pour améliorer leur cadre de vie. Ne pourrions-nous pas étendre ces initiatives à des pratiques pérennes ? La copropriété peut être un relais efficace pour reformuler notre vie citadine, décloisonner les rapports entre ses habitants et optimiser l’espace urbain. Pour cela, elle devrait être investie d’une vocation qui va bien au-delà de son champ de compétences actuel. Au lieu de se borner à la gestion d’un immeuble, ne pourrait-on pas lui donner les moyenset les responsabilités pour qu’elle puisse s’engager un peu plus dans une vision vertueuse de l’espace urbain, au service de ses occupants ?Les trésors cachés de la Supercopro
La contraction de notre espace de vie nous a amené à découvrir des espaces sous-utilisés dans notre copro. Un immeuble n’est pas aussi immuable qu’il en a l’air. Trois axes d’actions et d’ambitions pourraient constituer les bases d’une charte des Supercopro de demain et transformer en profondeur notre quotidien :
1- Copro solidaire : entraide (intergénérationnelle, personnes en situation de handicap, …) ; optimisation des espaces pour permettre le télétravail, la garde des enfants, …
2- Copro agréable à vivre : accès à l’extérieur (jardins, toiture, terrasses communes, potagers) ; mutualisation des espaces (laverie, atelier bricolage, salle polyvalente...), des biens (vélo, voiture…) ; capacité de location et gestion des espaces en rdc pour cibler des besoins adaptés aux résidents habitants/quartier et se faire une trésorerie
3- Copro engagée pour l’environnement : gestion des parcs de stationnement pour donner plus de place aux modes doux, entamer la transition énergétique en investissant dans les énergies renouvelables, …
La montée en compétence des acteurs de la copro : un enjeu fondamental
Nous sommes ici en train d’évoquer une mutation des acteurs de la copro en véritables maitres d’ouvrages compétents de l’immobilier et de la ville. Pour endosser ce rôle et lui permettre de se développer dans toute son envergure, la copro a besoin d’aide, d’accompagnement et d’incitations. Plusieurs pistes et outils pourraient être envisagées :
· Financement d’un audit et accompagnement par un AMO. L’architecte de copro peut également ici étendre son action et son engagement
· Valorisation du temps passé par les bénévoles (défiscalisation ? aménagement du temps de travail ? formation diplômante ?)
· Formation continue du conseil syndical
· Evolution du métier de concierge, qui doit également être en mesure de gérer des locaux immobiliers (appels d’offre, baux, …)
· Refonte du planning des décisions pour une dynamique plus engageante de l’ensemble des habitants (augmenter le nombre d’assemblée générale annuelle, mise en place de plateforme de partage des idées, …)
Interrelations et complémentarités : les copros en réseau
La mise en relation des Supercopro entre elles permettrait d’atteindre un nouvel échelon dans la fabrication de la ville. Faire tomber une clôture pour obtenir un cœur d’ilot plus vaste, partager une terrasse ou un potager, échanger sur les complémentarités des occupations de locaux en rdc, … la vie du quartier pourrait considérablement s’enrichir de ces nouveaux réseaux. Les plateformes d’échange numériques sont des moyens pour organiser des besoins complexes et spontanés qui rendent possible ces mutations. Par ailleurs, s’adosser à des opérateurs extérieurs qui doivent eux aussi s’impliquer dans une vision plus vertueuse de la ville (Airbnb, la Poste, concessionnaires...) serait un atout pour les Supercopro.
Que ce soit à l’échelon municipal ou national, les collectivités pourraient avoir beaucoup d’intérêt à inciter les copros existantes à se transformer. Elles l’ont déjà montré à travers quelques exemples comme la loi ALUR visant notamment à simplifier les modalités de surélévation ou les mesures d’embellissement et d’entretien des façades de la ville de Paris. Pour faire face à de futures crises, il semble vital de trouver un nouvel élan pour mobiliser les ressources locales. Des mesures incitatives permettraient à chaque copro de s’engager dans un projet d’amélioration de vie en commun. Une charte de Supercopro est à inventer pour engager chacun des concitoyens dans un nouvel horizon collectif. Le report du second tour des élections municipales est sans doute une occasion supplémentaire pour questionner les programmes de nos villes et construire ensemble les copropriétés de demain.
Julien Boursier & Mélusine Hucault, Mai 2020