Le retour sur l’histoire nous enseigne que les crises sont rarement annonciatrices de transformations urbaines. Elles tendent à cristalliser plus encore les tensions sociales, la peur et les « phénomènes morbides » qu’évoque Gramsci.
Ce n’est pas toujours le cas certes et la « ville moderne », c’est-à-dire celle qui émerge dans la seconde moitié du 19e siècle, porte en elle une réponse aux crises sanitaires qui frappent la ville industrielle d’alors. Ces transformations, positives, résultent cependant de la conviction que l’inaction conduirait aux mêmes maux et que l’adaptation est nécessaire, ce qui est loin d’être l’opinion commune dans l’épisode actuel.
Si elles ne sont pas « transformatives », les crises ont cela de remarquable qu’elles sont révélatrices de phénomènes cachés, du métabolisme discret de la ville. Beaucoup en a été dit déjà : la contribution des travailleurs précaires à la soutenabilité du système, le rôle de la logistique, internet qui s’impose comme la nouvelle infrastructure vitale….
On s’attachera à un phénomène plus silencieux, sans lyrisme mais avec les outils de l’urbanisme : la fin de vie et les conditions de logement des personnes âgées.
En France, la dernière résidence des personnes âgées est pour 60% d’entre elles l’hôpital, 14% une maison de retraite et pour un quart leur domicile. Un taux disproportionné par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE (80%) meurt à l’hôpital.
On dénonce, c’est saisonnier, les conditions de vie et de travail dans certains EHPAD, ce qu’on ne sait de fait pas vraiment. On s’offusque des dividendes d’un opérateur de maison de retraite, c’est aussi habituel. On déplore l’isolement relationnel dans lequel des personnes âgées dépendantes vivent et on commence à mesurer le coût social et humain d’une telle situation [1]. Tout ceci résonne comme une musique déjà entendue depuis la canicule macabre de 2005. Pourtant on semble à nouveau redécouvrir un phénomène qui n’est méconnu ni des professionnels, ni des pouvoirs publics, ni même des élus locaux. Pourquoi ? Alors plutôt que de sortir la lyre, on propose ici un cadre d’analyse qui, à l’examen de la situation des personnes âgées, souligne certaines fragilités de nos villes.
Les villes sont des systèmes complexes et leur « résilience », c’est-à-dire leur capacité à absorber des chocs, est soumise à d’innombrables incertitudes. Cependant, trop peu en France sont équipées des outils d’anticipation nécessaires à la préhension de phénomènes pourtant inéluctables.
A quelques rares exceptions, les acteurs de la filière immobilière (social et privé) sont depuis quinze ans restés dans une inertie fabuleuse. On adapte (en particulier chez les bailleurs sociaux), on créé des nouveaux segments (les résidences services qui fleurissent) mais les innovations sont très faibles comparé à nos voisins européens. La partition entre des logements individuels de moins en moins adaptés et des EHPAD de moins en moins désirés soulignent une réticence culturelle à bousculer les schémas mentaux (sanitaire versus social), les modèles d’affaire (lucratif versus le reste), les craintes réglementaires (l’expérimentation mais dans le cadre de la circulaire).
La question des personnes âgées en ville pose celle d’un travail caché (la toilette) que l’on élude dans le confinement des maisons de retraite, de la démence, dont personne ne préfère parler collectivement mais dont tous ont l’expérience à l’esprit.
Là encore, l’euphémisation de la dépendance en ville explicite la difficulté d’acceptation des fragilités en ville, dans l’espace public et les représentations. Ici encore, d’innombrables exemples étrangers (Singapore, Japon…) montrent que l’adaptation des rues, des commerces, des mobilités, des logements ne demandent pas de « smart solutions » mais un bricolage fondé sur le réel.
De la ville de demain, il ne nous est rien possible d’en dire. De celle d’aujourd’hui, révélée par la crise, si.
Ce n’est pas toujours le cas certes et la « ville moderne », c’est-à-dire celle qui émerge dans la seconde moitié du 19e siècle, porte en elle une réponse aux crises sanitaires qui frappent la ville industrielle d’alors. Ces transformations, positives, résultent cependant de la conviction que l’inaction conduirait aux mêmes maux et que l’adaptation est nécessaire, ce qui est loin d’être l’opinion commune dans l’épisode actuel.
Si elles ne sont pas « transformatives », les crises ont cela de remarquable qu’elles sont révélatrices de phénomènes cachés, du métabolisme discret de la ville. Beaucoup en a été dit déjà : la contribution des travailleurs précaires à la soutenabilité du système, le rôle de la logistique, internet qui s’impose comme la nouvelle infrastructure vitale….
On s’attachera à un phénomène plus silencieux, sans lyrisme mais avec les outils de l’urbanisme : la fin de vie et les conditions de logement des personnes âgées.
En France, la dernière résidence des personnes âgées est pour 60% d’entre elles l’hôpital, 14% une maison de retraite et pour un quart leur domicile. Un taux disproportionné par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE (80%) meurt à l’hôpital.
On dénonce, c’est saisonnier, les conditions de vie et de travail dans certains EHPAD, ce qu’on ne sait de fait pas vraiment. On s’offusque des dividendes d’un opérateur de maison de retraite, c’est aussi habituel. On déplore l’isolement relationnel dans lequel des personnes âgées dépendantes vivent et on commence à mesurer le coût social et humain d’une telle situation [1]. Tout ceci résonne comme une musique déjà entendue depuis la canicule macabre de 2005. Pourtant on semble à nouveau redécouvrir un phénomène qui n’est méconnu ni des professionnels, ni des pouvoirs publics, ni même des élus locaux. Pourquoi ? Alors plutôt que de sortir la lyre, on propose ici un cadre d’analyse qui, à l’examen de la situation des personnes âgées, souligne certaines fragilités de nos villes.
Anticiper mais quoi ?
Il est des phénomènes difficiles à anticiper (le covid) et d’autres qui sont déjà prévisibles. D’ici à 2050, 50 000 personnes chaque année deviendront dépendantes pour les activités courantes de la vie quotidienne. Le chiffre total devrait avoisiner les quatre millions de personnes. Combien de villes ont-elles pris la mesure de ce choc à venir ? En termes de mobilité, d’infrastructures, de politique du logement et de services urbains ?Les villes sont des systèmes complexes et leur « résilience », c’est-à-dire leur capacité à absorber des chocs, est soumise à d’innombrables incertitudes. Cependant, trop peu en France sont équipées des outils d’anticipation nécessaires à la préhension de phénomènes pourtant inéluctables.
Des acteurs inertes ?
La question du logement des personnes âgées est récurrente. On s’inquiète de la situation des EHPAD, on critique vertement des opérateurs qui gagnent de l’argent sur les structures médicalisées, on « se mobilise » en période de crise pour soulager la situation des personnes les plus fragilisées mais, à y regarder objectivement, notre politique de logement des personnes âgées est d’un archaïsme fascinant.A quelques rares exceptions, les acteurs de la filière immobilière (social et privé) sont depuis quinze ans restés dans une inertie fabuleuse. On adapte (en particulier chez les bailleurs sociaux), on créé des nouveaux segments (les résidences services qui fleurissent) mais les innovations sont très faibles comparé à nos voisins européens. La partition entre des logements individuels de moins en moins adaptés et des EHPAD de moins en moins désirés soulignent une réticence culturelle à bousculer les schémas mentaux (sanitaire versus social), les modèles d’affaire (lucratif versus le reste), les craintes réglementaires (l’expérimentation mais dans le cadre de la circulaire).
Restez cachés
Le livre « La potence et la pitié » de Geremek faisait l’histoire de la pauvreté comme celle d’une alternative entre la visibilité (la potence) et l’enfermement (la pitié). Nous traversons une période ambivalente sur les fragilités sociales. Elles sont présentes mais elles sont invisibles.La question des personnes âgées en ville pose celle d’un travail caché (la toilette) que l’on élude dans le confinement des maisons de retraite, de la démence, dont personne ne préfère parler collectivement mais dont tous ont l’expérience à l’esprit.
Là encore, l’euphémisation de la dépendance en ville explicite la difficulté d’acceptation des fragilités en ville, dans l’espace public et les représentations. Ici encore, d’innombrables exemples étrangers (Singapore, Japon…) montrent que l’adaptation des rues, des commerces, des mobilités, des logements ne demandent pas de « smart solutions » mais un bricolage fondé sur le réel.
Infrastructures sociales
La solidarité citoyenne vis-à-vis des personnes âgées ne se décrète pas (enfin peut-être[2]) et elle s’efface vite pour nous ramener à la condition urbaine de « blasé ». Elle trouve néanmoins support dans des équipements publics : on les appelle marchés, bibliothèques, jardins publics et elles ont cela d’être moins onéreuses que certaines manifestations internationales, moins dogmatiques que la mixité sociale, moins affinitaires que les onomatopées qui parsèment les consultations (Fab, Co, Tiers…).De la ville de demain, il ne nous est rien possible d’en dire. De celle d’aujourd’hui, révélée par la crise, si.
Morgan Pouliza, Mai 2020