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© Yann Kebbi
La Nature est morte, vive la nature !
Depuis trente ans, les plus éminents penseurs ne cessent de nous avertir : le schisme illusoire que nous croyons entretenir avec la nature nous pousse vers « la catastrophe ». Point de Nature face à nous, aucune volonté de la part de toutes les espèces non humaines de former ensemble une toile de fond face à laquelle nous pourrions opposer nos idées de culture, de civilisation ou encore de modernité. Hache, Stengers, Latour, Descola, Kohn et bien d'autres nous aident à recomposer les relations entre humains et non humains. Chaque espèce terrienne, nous compris, est tenue de négocier avec les autres dans la mesure où son existence en dépend. Un réseau d’interlocuteurs colocataires et interdépendants, voilà la nature ! Une conception qui nous rappelle qu’équilibre environnemental et social relève d’une même injonction au partage.
Si cette réalité est observée dans le contexte de la forêt amazonienne où les anthropologues étudient les dernières sociétés qui n'ont pas pris le virage de la modernité, elle est difficile à concevoir chez nous, comme en Ile-de-France où l'urbanisation s'est construite en opposition au système du vivant. Car en effet, les innombrables espaces verts qui ont remplacés les petites parcelles variées des cultivateurs spécialistes de la banlieue ont conduit à doubler les surfaces dites de Nature à l’échelle de la région tandis que dans le même temps, la biomasse et la biodiversité s’y sont effondrés ! Parallèlement, autour de la ville, le passage à la monoculture céréalière et la simplification à l’extrême des champs à perte de vue ont entrainé la désertification des sols. Ces formes de Nature modernes, urbaines comme agricoles, altèrent le vivant au fur et à mesure qu’elles gagnent du terrain !
Alors comment faire revivre ces Natures inertes ?
La réhabilitation du vivant exige un Urbanisme Agricole, une réparation des sols de la très grande périphérie, des champs aux grands ensembles, des zones d’activité aux zones pavillonnaires, par une polyculture riche et complexe. L’enjeu de cette réhabilitation est de dépasser l’héritage moderniste qui oppose la nature comme lieu de jouissance et de liberté à l’agriculture comme espace de production alimentaire, pour fusionner les filières agricoles avec celles du paysage urbain, reconstruire un espace public agricole et bâtir des fermes contemporaines comme autant d’équipements civiques et culturels structurant les territoires périphériques.
Ainsi, nous faisons le pari que la sérénité environnementale et sociale sera atteinte lorsque nous aurons retrouvé le chemin du champ à l'assiette et reconstruit les chaines qui lient notre nourriture à notre santé, notre économie, notre spiritualité. Une politique du territoire qui relève de la terre et de ceux qui la cultive : les paysans, ceux qui font le pays et le paysage. Remettre le paysan au cœur d'un projet de société, c'est recréer du commun, redynamiser les villages et assurer l'autonomie alimentaire des métropoles.
Cette voie, celle des nouveaux terriens, existe bel et bien !
Dans ce modèle prôné par nombre d'associations disséminées en France, l'agriculteur n'est plus au bout de la chaîne à subir la pression du marché, il retrouve un pouvoir d'agir. Il cultive pour la cantine et participe à l'élaboration du goût des enfants, il est en contact, non plus avec des clients mais avec des partenaires adhérents (AMAPS). Le paysan contemporain retisse le paysage qui n'est plus un décor mais le reflet d'un écosystème fragile qu'il faut reconstruire, les arbres réapparaissent, plantés par les écoliers en échange de quelques courges cuisinées à la cantine (AFAF). La mairesse réaffecte des terres à l'usage d'un jeune maraîcher (TERRES DE LIENS) assisté par une couveuse (LES CHAMPS DES POSSIBLES), la pharmacienne peut s'alimenter localement en herbes médicinales (FNPH), le berger pâture les espaces verts de la ville (« Clinamen »), les déchets des cantines deviennent du compost (MOULINOT) etc.Ce petit monde idéal basé sur l'économie sociale et solidaire qui propose un autre horizon que celui de la croissance par l'économie d'échelle est dépeint comme l’apanage d’une minorité idéaliste, éloignée du soi-disant « réalisme » nécessaire à l'injonction spéculative de « nourrir la planète ». Or ces initiatives émergentes produisent un modèle économique d’ores et déjà plus vertueux, moins pyramidale et dans lequel chacun trouve une place et de quoi se nourrir. Les pouvoirs y sont déconcentrés, les richesses justement évaluées et redistribuées aux acteurs, favorisant la pérennité de l'entreprise et l'épanouissement de tous les acteurs de la chaine. A la faveur de circuits plus courts, les risques sont mutualisés, les maladies pandémiques sont évitées, les ressources préservées et la biodiversité ne s'effondre pas.
Le pôle Abiosol qui représente ces initiatives a du mal à se faire entendre car il se situe loin des sphères de décision logées en ville. C'est un mouvement qui part de la terre, local, issu de citoyens, paysans ou non, qui ont décidé que l'alimentation devait retrouver une place centrale dans notre société, avec enthousiasme et loin des clichés du retour à l'âge de pierre.
Or c'est au politique de construire les espaces propices à la description de ces interactions vertueuses avant même de pouvoir imaginer des solutions. Innover, c'est faire évoluer la structure ce qui nécessite au préalable de décrire « ce à quoi nous tenons ». Force est de constater que la Politique meurt avec la Nature, à la faveur de dirigeants vivants hors-sol et pensant connaître depuis leurs expertises la bonne direction du sillon.
La fragile autonomie alimentaire de notre cité nous oblige à repasser à table pour inviter chacun à occuper sa place et faire surgir par le goût, l'originalité d'un territoire, d'un pays.
Sait-on jamais, la faim conduira peut être un jour le consommateur à redevenir citoyen.
Sylvain Gouraud et Augustin Rosenstiehl, Avril 2020