La crise du covid-19 est un défi sanitaire, économique, environnemental, social, mais aussi territorial.[1] Dans son discours du 13 avril 2020, le Président Macron a déclaré vouloir rebâtir une économie forte et indépendante en matière financière, agricole, sanitaire, industrielle et technologique. Dans ce dessein, il a conclu : « Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer - et moi le premier… ». Or, « réinventer » après le Covid-19, c’est aussi « réinventer » l’aménagement du territoire.
Ce dernier a en effet été abandonné au profit de décisions concentrant hommes et activités, à commencer par les services de l’État, dans les plus grandes métropoles. D’où la double proposition suivante. Il faut accélérer la réalisation de l’égalité numérique sans attendre. Tous les territoires français doivent disposer des technologies numériques les plus avancées et toutes les familles des indispensables outils de communication et accès numérique. Cela concerne d’abord la formation initiale. Tous les enfants doivent pouvoir recevoir un enseignement à distance, lorsqu’il est indispensable, par exemple pour bénéficier de l’apprentissage d’une langue ou d’une discipline qui n’est pas enseignée dans son collège ou son lycée. C’est ensuite un impératif de formation continue. Tout actif souhaitant suivre un cycle de formation en continu doit pouvoir disposer d’un large choix quel que soit le lieu où il habite.
Et, bien entendu, le télétravail, heureusement facilité par des lois de 2017 et 2018, doit être partout rendu possible, parallèlement à l’essor du téléenseignement sur tout le territoire. Nombre d’actifs, salariés ou indépendants, continueront ou souhaiteront, après le déconfinement, utiliser le télétravail, au moins une partie du temps de leur activité professionnelle. De même, ils souhaiteront que des réunions s’effectuent en visioconférence. Les avantages sont multiples. Parmi ceux-ci, il faut citer la diminution du nombre de déplacements et de la fatigue, voir de la morbidité, liée à ces déplacements, avec d’inévitables conséquences sur la qualité du travail. S’ajoutent, bien entendu, la diminution des gaz à effet de serre et de la pollution, comme la promiscuité des transports en commun, facteur de risque de propagation des virus. Plus généralement, c’est établir une meilleure égalité entre les territoires [2].
Chaque fois que cela est possible, et pour une partie du temps de travail, le télétravail, pour les actifs du secteur privé ou public dont les fonctions le permettent, est devenu une nécessité absolue, mise en évidence par la pandémie de covid-19. Cette nécessité peut se transformer en atout. En effet, il ne faut pas oublier que le bon usage du télétravail et la bonne réussite des visioconférences imposent une rigueur susceptible d’améliorer la productivité à l’heure où nos économies auront besoin d’une véritable renaissance pour retrouver les mêmes niveaux de vie qu’avant la crise et les améliorer. Généraliser un usage, au moins partiel, du télétravail, concourt aussi à « réinventer » un management répondant mieux aux aspirations des salariés.
Dans ce but, un budget prioritaire doit permettre d’achever rapidement la couverture en téléphonie mobile de qualité et d’internet à très haut débit sur tous les territoires français, tandis que des formations, également prioritaires, doivent être consacrées à diminuer l’illectronisme. Pour favoriser les financements de cette prioritaire transformation numérique et sa mise à niveau continu au fil des évolutions technologiques, pourquoi ne pas « réinventer » certains grands projets coûteux, comme le Grand Paris Express (GPE) ?
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[1]Cf. Dumont, Gérard-François, « Le covid-19 : la fin de la géographie de l’hypermobilité ? », Société de Géographie, 7 avril 2020. Les choix de ce projet pharaonique comportaient déjà nombre d‘éléments discutables. Ils n’intégraient nullement la satisfaction des premiers besoins des Franciliens, soit la remise en état du réseau existant des RER et transiliens (encore souvent appelés les trains de banlieue). Après l’abandon d’Europacity, l’un des points du réseau GPE est déjà caduc. Même si certaines de ses réalisations améliorant la multimodalité peuvent être justifiées, le GPE, tel qu’il est prévu, accentuerait les avantages des nœuds économiques déjà les plus favorisés, comme La Défense, au détriment des autres territoires de la région. Il accroîtrait donc les inégalités. Il concourrait à une surconcentration dans la partie centrale de l’Île-de-France, rappelant les erreurs de localisation des villes nouvelles dans les années 1960. Il impliquerait une urbanisation accrue dans la partie centrale déjà la plus dense de l’Île-de-France, un accroissement de population et de la densité que les habitants ne semblent pas souhaiter à la lecture du solde migratoire négatif comme d’enquêtes qui montrent la répulsion de la région capitale pour ceux qui y habitent. En stimulant inévitablement des déplacements, le GPE contrevient au développement durable de l’Île-de-France.
Or, l’État rend possible la levée de 38 milliards d’euros correspondant au budget de construction du GPE, chiffre incomparablement supérieur aux possibilités offertes à l’ensemble des autres territoires qui représentent pourtant les quatre cinquièmes de la population de la France. On sait aussi que ce budget sera dépassé. En outre, aucune prospective n’a été proposée pour évaluer son déficit de fonctionnement et qui va l’assumer. Gouffre financier, le GPE se traduit déjà par une pression fiscale supplémentaire sur les Franciliens et, à terme, par une pression fiscale fort accrue compte tenu de son déficit d’exploitation. Il accentue la volonté politique de métropolisation déjà à l’œuvre, et l’hypertrophie de la région parisienne au sein de l’Hexagone. Pas moins de trois lois, complétées par des avantages financiers, ont été votées dans les années 2010 pour favoriser les métropoles, considérées comme des « premiers de cordée ». Cela n’a pas amélioré le positionnement de la France dans le monde ni la vie quotidienne des Français. « Réinventer », c’est totalement repenser la conception actuelle du GPE, qui risque de se révéler à terme un « éléphant blanc », pour investir en faveur de l’égalité numérique au profit de tous les territoires français, sachant que l’innovation est possible partout. Les citoyens doivent pouvoir vivre, travailler, entreprendre, où ils le souhaitent, pour qu’il n’y ait de fatalité imposée pour aucun territoire.
Gérard-François Dumont, Francine Paponnaud, Avril 2020
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[2]Farinelli, Bernard, « Territoires : préférer la mobilité ou la proximité ? », Population & Avenir, n° 728, mai-juin, 2016.