« La vie s’écoule à petit coups ;
Les humains sous leur parapluie
Cherchent une porte de sortie
Entre la panique et l’ennui
(Mégots écrasés dans la boue) »
Michel Houellebecq,
« Midi » (extrait), Poésie
Le confinement semble nous ouvrir une porte vers un monde que nous ne n’habitions plus. Entrainés dans une spirale sans fin, nous marchions sans nous voir, nous parlions sans nous entendre, nous existions sans ressentir.
Il aura fallu l’intervention d’une petite chose - infime microbe -, une simple poussière capable de coincer un engrenage qui semblait pourtant si bien huilé. Tout s’est emballé si vite. Gagnant de l’ampleur, sans que notre vieille France veuille bien y croire, l’épidémie s’est propagée, n’épargnant rien, à commencer par nos vies. Puis, ce qu’on croyait impossible, ce que l’on pensait dépassé, est pourtant arrivé. Le confinement nous demande de rester enclos entre ces quatre murs délimitant notre « chez-nous ».
Alors, nous redécouvrons ce lieu. Et nous en saisissons l’importance. Chaque détail prend son importance et devient le nouveau paysage quotidien ; la rayure du parquet, la marche qui grince, le grain du papier peint, la tâche du rideau… Enfants d’une société prônant l’activité et la productivité, des meubles sont poussés, des choses jetées, on fait du tri, pour les enfants, pour un bureau, pour le travail. Une sorte de frénésie emplie l’espace ; le mouvement qui ne peut plus être évacué se transmet dans les murs. Une peur de tomber en léthargie s’empare de nous, il est impossible de ne rien faire.
La vie appelant la vie, on regarde par la fenêtre. En se remémorant l’attitude de nos grands-mères, soulevant le rideau de dentelle blanche pour regarder les voisins, on s’en éloigne. C’est ridicule ! Nous ne sommes pas des commères ! Et pourtant… L’attention s’exporte à l’extérieur ; le voisin d’en-face semble vivre dans le noir, la fille du 3e n’éteint jamais sa télé, la voisine oublie ses fleurs. Et cela nous fascine…
La fenêtre devient une échappatoire. Porte de secours de cette situation qui nous oppresse et nous angoisse, de cet intérieur qui finit par devenir suffocant. N’y avons-nous jamais vécu, dans nos maisons, nos appartements, nos studios, pour qu’ils nous paraissent maintenant insupportables ?
Il semble que ce soit là que le bât blesse. Entrainés dans une dynamique productiviste, par économie, par facilité - les mauvaises langues diront par flemme -, nous vivons dans des standards. Le m2 est d’or, la fenêtre un luxe, et les architectes sont les petites mains de ce marché de requins. Les inégalités se creusent dans les rapports de proportions de nos dessins et de nos plans. Chaque pièce, millimétrée, est pensée pour accueillir sa fonction, et uniquement elle. L’agencement, sorte de tétris échelle 1:1, ne laisse la place ni aux souvenirs ni aux surprises.
Mais aujourd’hui, à cette heure où nous nous trouvons tous confrontés à cet espace, acceptons-nous de n’être que de simples rapports de proportions ? Acceptons-nous de n’être que des chiffres et des standards ? Sommes-nous réellement heureux de ce salon trop étroit et trop bas, où une famille se trouve finalement incapable de cohabiter ? Sommes-nous heureux de vivre dans des espaces trop exigus, où l’intimité est impossible ? Sommes-nous heureux d’habiter des espaces qui ne deviendront jamais de vrais lieux ?
L’épargne du projet se calcule au métrage des logements. Ne payons-nous cependant pas aujourd’hui cher cette mauvaise économie de la construction ? Sommes-nous prêts à perpétuer cette monarchie de la dynastie des coûts ? Sommes-nous prêts à imposer aux autres ce qui aujourd’hui nous révolte ?
Désordre #9, 1987, ©Jean-Louis Garnell
Sachons réintroduire l’homme comme principe de nos interrogations. Sachons réintroduire l’émerveillement dans notre quotidien. N’ayons pas peur de parler de la beauté du ciel, du plaisir de la chaleur du soleil ou de la délicatesse du chant des oiseaux. Sachons prendre en compte les petits riens qui fondent notre quotidien pour permettre au quotidien d’exister.
Ce confinement nous invite à nous interroger sur ce que sera demain. Soyons assez vifs pour nous en saisir et œuvrer pour le bien-être de chacun. La crise de demain pourra être le renouveau futur. Arrêtons de penser en termes de statistiques, de chiffres, de normes, même si le temps est au dénombrage et à la distanciation. Demandons-nous dans un premier temps ce qui nous charme, ce qui nous transporte et soyons prêts à nous battre pour le respect de ces valeurs.
La nostalgie ne nous permettra pas d’intervenir. Seules les actions et les choix que nous ferons pourrons permettre de conserver les qualités de nos vies. Ouvrons les yeux et acceptons les erreurs qui ont été faites. Sachons ne pas les refaire.
Si nous ne faisons pas le choix de battre pour ce en quoi nous croyons, ne soyons pas naïfs de croire que d’autres le feront pour nous. A l’heure où la place et l’utilité de l’architecte ne cessent d’être remises en questions, apprenons à mettre en avant nos atouts et acceptons de rebâtir une image que nous avons contribuer à dégrader.
Pour demain, pour après, pour nous, mais surtout pour les autres, battons-nous.
Commençons par changer…
Sonia Costes, Avril 2020