Cette fonctionnalité requiert l'utilisation de cookies
Vous pouvez modifiez vos préférences cookies ici
Le moment présent est, cela a été suffisamment dit, à la fois celui d’une crise et celui d’une libération des imaginaires et des projections pour dessiner les contours d’un monde différent. Les architectes, urbanistes, géographes, et tous ceux qui travaillent avec eux à la mise en espace de nos sociétés, participent à ce fourmillement nécessaire, passionnant, difficile. On envisage ou on souhaite, entre autres, une adaptation de l’espace public à des nouvelles normes de sociabilité, une transformation des mobilités, une rénovation des logements les plus invivables pour qu’ils le soient un peu moins lors du prochain confinement, une évolution des espaces de travail avec l’augmentation des relations « à distance » (et la question liée et plus fondamentale d’une redéfinition de l’idée même de « présence »), etc.
Tous ces enjeux sont légitimes, et certains d’entre eux pourraient même devenir enthousiasmants. Mais il ne faudra pas que nous passions à côté d’une autre problématique spatiale, qui est peut-être la plus urgente, la plus centrale dans la crise actuelle et la plus structurante pour construire la suite : la place de la santé dans nos organisations physiques et territoriales.
Il y a d’un côté une vision large, « holistique », à remettre au fondement de nos métiers, une vision dans laquelle tous les éléments constitutifs de nos milieux habités sont concernés (qualité du bâti, accès à l’espace public, distances parcourues, modes de transport, activités physiques, alimentation, ...). Cela nous engage à revoir globalement la cité comme un projetsoignant, c’est-à-dire aussi prévenant; que ceux qui sont déjà les plus vulnérables - sociologiquement, économiquement, territorialement - cessent d’être aussi les premières victimes des catastrophes sanitaires.
Et il y a, d’un autre côté, la question urgente des espaces spécifiquement sanitaires, au sujet desquels nous devons engager une lecture spatiale des événements récents. En remarquant d’abord quelques faits qui relèvent de l’exceptionnel mais sont instructifs : ainsi il en va de la nécessité confirmée des grands vides urbains, parcs ou entrepôts, lorsqu’ils sont transformés en indispensables lieux de secours ; ou encore de ces TGV devenus des hôpitaux en mouvement comme dans un rêve de Cedric Price, organisateurs d’une solidarité territoriale à grande échelle. Mais ce ne sont là que les éphémères extensions des seuls espaces qui concentrent vraiment la crise, dans ce qu’elle a de plus concret : les hôpitaux. Or ces hôpitaux ont été et sont encore soumis à une tension extraordinaire ; les espaces sont surchargés, des lits sont installés dans des zones non médicalisées et dépourvues de toute la technique nécessaire, les architectures se révèlent inadaptées à la circulation du virus et aux mesures de distanciation et de séparation, etc. Pour tous ceux, patients comme soignants, qui l’occupent en ces temps exceptionnels mais qui se reproduiront, le lieu est à proprement parler inhabitable.
L’événement est double : il apporte bien sûr son lot d’inédit, mais il est dans le même temps le miroir grossissant d’une réalité déjà là. De la même manière que le confinement agit comme l’amplificateur impitoyable des inégalités en termes de logements, la crise du Covid accentue dramatiquement une situation préexistante dans les hôpitaux, et dont il faut chercher les causes. Pensons par exemple au fait que les établissements hospitaliers, dont le fonctionnement est soumis à des objectifs de rentabilité, ont été contraints à des stratégies immobilières réduisant progressivement leurs surfaces d’accueil et de soin. Pensons également au « virage ambulatoire » en cours, un virage prometteur pour penser le soin au-delà des murs de l’institution mais qui se traduit aussi par la baisse progressive du nombre de lits dans les hôpitaux. À la suite des drames récents dûs au manque de places, nul doute que ces évolutions devront être a minima rediscutées, et les objectifs communs redéfinis.
Nous aurons donc, dès que les conditions du rassemblement seront réunies, à organiser une discussion collective pour soulever ces enjeux, pour parler de ces espaces du soin et de l’hôpital public en premier lieu, de leurs caractéristiques géographiques, urbaines et architecturales, des logiques foncières et territoriales des acteurs de la santé. Un vaste retour d’expérience post-Covid, rassemblant l’ensemble des parties prenantes - institutions, architectes, urbanistes, soignants, politiques, intellectuels, étudiants, etc. - sera nécessaire et peut-être salutaire.
Le monde a aujourd’hui l’occasion de faire de la santé des individus la valeur dominante de nos organisations collectives, et le personnel de santé bénéficie déjà d’une estime grandissante, et qui sera durable, parmi l’ensemble de la population. L’attention nouvelle que nous apporterons collectivement à ces professions devra se traduire par un réinvestissement massif de la question de la santé par les architectes. Nous avons un rôle essentiel à jouer pour que le lieu de l’hôpital redevienne un sujet majeur de la réflexion architecturale.
SCAU, Avril 2020