« Qu’il y a-t-il de commun entre l’escalier, l’ascenseur, le tuyau et le rideau ? S'ils ne sont pas toujours pris pour des éléments essentiels de l’architecture et sont souvent assimilés à de simples équipements fonctionnels, ce sont pourtant des tuteurs, des prothèses qui facilitent et qui cadrent nos relations avec le monde extérieur. Les escaliers ne desservent pas seulement les étages, ils nous permettent de nous élever afin de voir les choses avec un certain recul, une certaine distance ; les ascenseurs ne nous évitent pas seulement la fatigue, ils nous libèrent pour un temps de la pesanteur. Les tuyaux, dont il ne faut pas sous-estimer la symbolique ombilicale, alimentent en fluides nos intérieurs afin qu’ils se définissent comme les milieux les plus favorables à notre développement. Quant aux rideaux, ne croyez surtout pas que l’on puisse les assimiler à des éléments de décoration ! Ils font partie intégrante de l’architecture et nous permettent de vivre à notre propre rythme, en mettant entre parenthèse la tyrannie des jours et des saisons. C’est ce que nous verrons cette année en recherchant dans l’histoire et dans la production récente des exemples d’édifices où ces éléments sont mis au premier plan pour nous accompagner vers notre accomplissement, tout en annonçant les prémisses d’un monde à venir... » - Richard Scoffier
COURS #03 : LE TUYAU
Mais pourquoi parler des conduits et des tuyaux, ces intrus, ces tard-venus de la construction ? Imposés par les connexions à l’eau courante et au tout-à-l’égout ainsi que par la ventilation mécanique, ils ont envahi brutalement l’espace dès le XIXe siècle en perçant les murs ou en dégringolant inopinément des toitures pour en évacuer les eaux pluviales. Pourtant ces agents de la barbarie fonctionnelle, que l’on cherche à cacher par tous les moyens, nous apportent une eau baptismale, recueillent maternellement nos déjections et permettent le renouvellement de l’air vicié par nos miasmes...
Les membres d’Archigram ont été parmi les premiers à dessiner avec soin les canalisations et les chemins de câbles reliant les habitacles aux mégastructures qu’ils projetaient pour le futur. Ils ont été suivis par les héros du high-tech, notamment Renzo Piano et Richard Rogers à Beaubourg qui ont su en anoblir définitivement le système d’aération. Une vision nouvelle propagée comme une trainée de poudre, comme en témoignent les conduits de ventilation horizontaux qui composent un improbable bas-relief pour couronner le Centre Culturel de Viana de Castello réalisé par Souto de Moura au Portugal. Comme si ce que l’on appelait « la tripaille » avec un profond mépris dans les agences d’architecture des années 1980 était devenu aujourd’hui la modénature indépassable de toute construction.