Nous poursuivrons cette année l’inventaire des éléments de l’architecture commencé les années précédentes. Des éléments qui nous permettent de mieux comprendre ce qui est réellement en jeu dans toute œuvre architecturale.
Quel est le lien entre le sol, le baldaquin, la colonne et les toilettes ? Chacun de ces éléments de l’architecture est étroitement associé à une question d’ordre philosophique. Ainsi le sol renvoie-t-il à la nature animale de l’être humain qui vit en osmose avec son milieu. Mais contrairement au loup ou au renard, l’homme ne se contente pas de borner son territoire de ses déjections : il l’aménage et le modifie parfois de fond en comble pour obtenir les surfaces plates et lisses nécessaires à son épanouissement. Le baldaquin ou le dais se glissent au-dessus des têtes de certaines personnes pour les protéger, mais surtout pour les placer dans un environnement à leur mesure. Tandis que la colonne émerge du sol et se dresse afin de figer dans le marbre le moment inaugural où l’être humain en lutte contre l’attraction terrestre se lève sur ses pattes arrière pour dominer le paysage. Quant aux toilettes, elles rendent compte d’un autre corps : un corps qui ne se dresse pas en gloire mais qui s’accroupit pour se connecter aux multiples canalisations ombilicales qui s’enfoncent dans le sol afin d’évacuer ses déjections...
Des sols tramés que nous retrouverons dans l’architecture du XXe siècle aussi bien dans la Große Strasse à Nuremberg - une avenue dallée aux dimensions comparables à celles des Champs-Élysées réalisée par Albert Speer en 1936, au milieu d’un parc, pour les parades et défilés militaires nazis - que dans les projets radicaux de Superstudio datant de l’après 68. Ou encore dans certaines réalisations contemporaines telles : le pont Simone Veil d’OMA à Bordeaux (2024) ; le réaménagement de la place de la République de TVK à Paris (2013) ou le Lieu de vie à Saclay dessiné par le Studio Muoto (2016)...
Des sols qui peuvent aussi se soulever pour former des socles habitables, comme la Maison Malaparte (1937) d’Adalberto Libera à Capri ou la Maison de l’Infini (2014) d’Alberto Campo Baeza à Tarifa. Se suspendre, comme au musée d’art moderne de Lina Bo Bardi à São Paulo (1968), ou se superposer, comme à la Casa Alta (1969) de Sergio Bernardes à Rio de Janeiro...