MANGER - LES ACTES FONDAMENTAUX II

Université Populaire 2020 - Cours #1

 Conférence du 1er février 2020
Par Richard Scoffier, architecte, philosophe, professeur des Écoles Nationales Supérieures d'Architecture.

Restaurants, cuisines, commerces, autoroutes, marchés d’intérêt national, abattoirs et champs à perte de vue : la terre entière a été implacablement organisée pour que nous puissions nous nourrir à intervalles réguliers et ne jamais être dominés par la faim comme nos lointains ancêtres (...) Nous analyserons certains dispositifs architecturaux contemporains où l’on se restaure tout en regardant les autres et en étant vus d’eux.

L’Université Populaire poursuit son investigation commencée l’année précédente sur les actes essentiels de l’humanité et leur implication dans la détermination de l’espace.

Manger, recevoir, éduquer, se recueillir : tous ces actes réclament des espaces dédiés pour s’accomplir et s’institutionnaliser. Manger nécessite des pièces spécifiques – cuisine et salle éponyme – mais implique en amont l’aménagement de l’ensemble du territoire : les champs, où les plantes sont cultivées et les animaux élevés, ainsi que les mers où les poissons sont péchés.

Recevoir met en crise la finalité d’une habitation originellement pensée comme un système de défense pour y faire pénétrer l’ami, mais aussi l’étranger et l’ennemi potentiel. Éduquer, c’est construire des espaces à part possédant leurs propres règles où enfants, adolescents, jeunes adultes pourront développer leurs facultés afin de devenir techniquement de plus en plus performants et socialement de plus en plus responsables. Quant à se recueillir, c’est l’acte qui permet d’approcher au plus près l’impulsion neutre et impérative qui nous pousse constamment à nous élever au-dessus du monde et des choses.


MANGER
Samedi 1er février 2020


Restaurants, cuisines, commerces, autoroutes, marchés d’intérêt national, abattoirs et champs à perte de vue : la terre entière a été implacablement organisée pour que nous puissions nous nourrir à intervalles réguliers et ne jamais être dominés par la faim comme nos lointains ancêtres, les chasseurs-cueilleurs du néolithique qui passaient leur vie à la recherche exclusive de leur subsistance. Mais manger c’est aussi un corpus de gestes codifiés qui font l’objet d’un long apprentissage. Une pratique, prescrite par de nombreux interdits, qui réclame impérativement de s’effectuer sous le contrôle d’une communauté. Un acte, qui de plus subsume le besoin animal de dévorer sous le plaisir esthétique de goûter. Nous analyserons certains dispositifs architecturaux contemporains où l’on se restaure tout en regardant les autres et en étant vus d’eux. Mais aussi des lieux qui se veulent en phase avec un certain style de cuisine. Ainsi l’hôtel restaurant Saint-James de Jean Nouvel à Bouliac, conçu comme un espace initiatique permettant de méditer sur la terre et ses produits avant de passer à la table de Jean-Marie Amat. Ou Le Dauphin, aménagé à Paris par Rem Koolhaas et Clément Blanchet, qui met les corps en légère tension pour qu’ils soient à même d’apprécier les savants assemblages d’Iñaki Aizpitarte, ou encore Enigma, réalisé à Barcelone par l’agence RCR et Pau Llimona qui s’organise comme un cristal autour des subtiles transgressions culinaires du chef catalan Albert Adrià.
Biographie
Richard Scoffier est architecte et titulaire d'un diplôme d'études approfondies de philosophie. Après avoir obtenu en 1991 les Albums de la Jeune Architecture, il fonde une agence à Paris dont les maquettes d'étude ont été exposées dans plusieurs Maisons de l'Architecture.
Professeur titulaire de théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine à l'ENSA de Versailles, il exerce une activité de critique et collabore depuis plus de dix ans à la revue d'A. Il a notamment publié : Scènes d'Atelier, le catalogue de l'exposition de Christian de Portzamparc au Centre Pompidou, en 1996 ; Les villes de la puissance, aux Éditions Jean-Michel Place, en 2000 ; Les 4 concepts fondamentaux de l'architecture contemporaine, aux Éditions Norma, en 2011, et le tome III de la monographie de Christian Hauvette, aux Archives d'Architecture Moderne, en 2015. Ces articles et ces ouvrages lui ont valu de recevoir en 2013 la médaille de l'analyse architecturale décernée par l'Académie d'Architecture.
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