Saison 3

Marin Fouqué

Melun 2000

Marin Fouqué - Melun 2000

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Collection de courts métrages réalisée par Stéfan Cornic et produite par Année Zéro et le Pavillon de l'Arsenal en partenariat avec Télérama et Enlarge Your Paris.

Un écrivain contemporain choisit un quartier, une zone, un lieu du Grand Paris. L’écrivain écrit alors un texte du genre littéraire de son choix, en lien avec l’espace. La caméra, elle, capte l’esprit des lieux. Par moments, des correspondances se tissent entre le texte lu par l’écrivain en voix off et les images. A d’autres, des écarts développent une nouvelle narration qui libère l’imagination et les interprétations.

Entre vision documentaire et fiction littéraire, les films offriront des instantanés du Grand Paris d’aujourd’hui pour dessiner le portrait d’une ville en mutation." />

" MMMMMMMMMMMMMMMMMM Melun
Moula
Mollard

Mélasse
Malaxe
Molosse Malice-cieux Mot lar-vé
Et les cieux -

ne sont pas cléments ici t’as plus qu’à té-ma les signes peu d’estime dans nos récits à commencer par les cimes

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De nos bâtiments, cœur lourd, cherche la fureur dans les battements, d’la gare.

Melun, c’est rien. Rien qu’un couloir. Quand tu veux quitter ta boue pour faire de l’or, du fric, du flouze, du pèze, d’la thune, des sous, de la braise, du bif, d’la maille, d’l’oseille, faut à tout prix monter sur Paris, dans la brume, le matin, par les voies, celles qui passent

forcément par Melun. Alors tu y repasseras le soir, pour ramener la moula à l’abri, bien au chaud, sous le coussin, dans les terres, ton hameau, ton huis-clos, ton ter-ter, ville-dortoir.

Melun, c’est qu’un tunnel. Pareil que celui sous les rails, celui qui te fait flipper depuis tout môme. Effluves acres, ammoniac, ligne droite, tube sans fin, et ses néons grésillent. Quand tu traverses le tunnel, tu dois cracher un bon mollard au sol pour te persuader que t’es serein. Et quand t’en sors, enfin, au-delà̀ du PMU de la Rotonde, par-delà̀ le TOTAL à l’abandon, au-delà̀ des cités, par-delà̀ les pavillons, il y a la bicoque de ta grand-mère et ses doux sablés au beurre fumants de plaisir, la télé́ en boucle, l’animal aux pieds, à Dammarie-les-Lys, c’est-à-dire la banlieue de la banlieue de la banlieue de la banlieue de la banlieue de la banlieue de la banlieue...... Dis, ça s’arrête quand, Paris ?

Melun, c’est qu’un trou dans le bitume. Juste un éboulis de crevasse, quelque chose d’affaissé sur lui-même à force d’y zoner. Au moins, c’est d’une matière plus ferme que ta mélasse, ça rebondit presque sous les pompes, tes pompes, des Creeks dont t’es si fier, achetéeś sur une ZAC quelconque. Pour les avoir, il t’en aura fallu des négociations avec ton père, à la Halle aux Chaussures, son regard froid sous la casquette, ouvrant chaque boite en carton, la veine au front, pliant une à une les semelles comme un malade, impitoyable, jusqu’à

les tordre complètement et pouvoir ainsi les juger de mauvaise facture, inachetables.

Melun, c’est qu’un fond de canette. Une 8.6 qu’on engloutirait d’un trait en sortant du Palais de Justice, celui qui paraît même pas fini, les architectes ont dû se barrer en urgence, comme tout le monde d’ailleurs ici, laissant derrière eux ce truc au regard froid, comme celui du juge assis derrière son bureau, ouvrant chaque dossier, la veine au front, la robe ample, tournant une à une les pages, tordant complètement les êtres, impitoyable, pour les diagnostiquer ensuite de mauvaise facture, irrécupérables, direction l’île-prison, en descendant la rue depuis la gare jusque sur les bord de Seine où des carcasses en attente de parloir se tordent sur des barreaux pour encourager d’autres carcasses suintantes penchées sur des bateaux, la transpiration collant leurs combinaisons de lycra, rames profondément plantées dans l’eau, club d’aviron, et les embarcations qui s’éloignent peu à peu sur le fleuve, passant devant le camping désert, les immenses silos à grain, les péniches à l’arrêt, quelques baraques de bourges et puis enfin les champs qui te malaxent le corps quand vient la pluie, te laissant seul avec ta peur, peur du marron, peur de t’y perdre, peur de la vague, le tsunami, l’emmerdement, la solitude, peur d’y rester, le puits sans fond. Dis, ça nous bouffe quand, Paris ?

Melun, c’est qu’une bouche d’un type hurlant. Du sale. Son chien au bout d’une laisse. D’acier. Le bus roulant tombeau. Ouvert. Sur ses appuis il tremble. Sévère. C’est que son molosse tire toute blinde. Toute force. Tout poids. Colère. Jusqu’à très vite tendre la chaine en une ligne droite, à tout juste deux centimètres des visages. Bave. Hume. Éclat furtif des maxillaires. Entrave. Ecume. Le regard fou dans meurtrières. Salve. Consume. Même muselé́, le malicieux passe au travers. Au fond du bus, un galérien hurle qu’il a ses couilles au bout de sa laisse, le monsieur. Un autre rajoute qu’avec ou sans clebs, on le fout dehors illico, direct, forceps. Un autre ricane qu’un canidé́ ne sert à rien si canardé, mais il dit ça, il ne dit rien, c’est qu’une idée. Un autre complète qu’il faudrait pouvoir différencier le cabot du maitre. Par exemple, pour expérience, leurs donner du Canigou à tous les deux pour être sûr de qui niquer. Un dernier conclut qu’avec leurs gueules, on sait plus c’est lequel des deux qui tient la laisse. Liesse. Moteur max. Stress. Mot larvé. Blesse. Dis, il commence où le poème ?

Melun c’est rien. Rien que le terreau, rien que le semis, rien qu’où elle nait, la poésie.
Puisque pour tenir face à l’ennui les oulipos parfois surviennent ; alors les jeux de mots, les jeux de dupe, les traits d’esprits, les mouvements de langue, la langue chienne, les chiens d’la casse, les cassages de bouches, les bouches sans cris, le vide en crue, le rien qui règne ; ça vient d’ici. Les mots résonnent mieux dans les gouffres.

Et pour savoir ça, pas besoin d’être du Grand Paris.

MMMMMMMMMMMMMMMMMM Melun
Moula
Mollard

Mélasse
Malaxe
Molosse Malice-cieux Mot lar-vé
Et les cieux -

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ne sont pas cléments ici
t’as plus qu’à té-ma les signes
peu d’estime dans nos récits
à commencer par les cimes
de nos bâtiments, cœur lourd, cherche la fureur dans les battements, d’la gare. Le train s’arrête,
un temps,
juste un temps,
dans le silence, gueuloir
tu montes dedans, les portes se ferment
un temps,
juste un temps

et puis repart.

MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMM MM "



Marin Fouqué

Né en 1991, vit en Seine Saint-Denis.
Romancier, poète et performeur, auteur de « 77 » (Actes Sud, 2019), un premier roman qui lui a notamment valu le Prix Écrivain de la Fondation Lagardère. En 2021, il sort « G.A.V. » (Actes Sud), largement reconnu par la critique et récompensé du Prix Alain Spiess du meilleur deuxième roman.