" Quand on est dos à l’Opéra, c’est la portion d’espace qui s’ouvre en haut de la rue La Fayette, l’autre axe de Paris, après la Voie Royale — mais sans Arc de Triomphe, sans Défense, sans rien à l’horizon : un écran de ciel vide formé par les façades haussmanniennes, qui s’élargit sur le viaduc de la gare de l’Est, qui se restreint sous le métro aérien à Stalingrad, qui s’incline pour passer le Boulevard périphérique, qui s’allonge sous l’échangeur de Noisy-le-Sec pour former enfin, au delà des pistes de Roissy, un immense trapèze vide : le Pays-de-France, l’un des plus beaux et des plus méconnus des paysages modernes. (…)
On frôle ici la géologie intentionnelle, qui prêterait aux choses une intériorité malvenue, une réflexivité de mauvais goût. A moins d’assumer complètement la nature romantique de tous les paysages — Novalis, poète et ingénieur des mines, voyait dans la géologie l’autobiographie de la Terre — l’idée aurait, partout ailleurs, quelque chose de choquant. Mais elle est étrangement acceptable ici, en tant que le paysage ne serait plus tout à fait naturel.
Le Pays de France, rival malheureux en mystère du Valois de Nerval, paysage à la réalité vague et territoire plein de portes invisibles, apparaît là comme l’une des plus jolies dépendances de Paris — la terre d’épandage privilégiée de sa grandeur intacte. C’est le dernier des jardins qu’on ait planté en France. Un parc immense où tout est pensé — aéroports, parcs d’attractions, véloroutes et entrepôts divers — pour l’agrément des hommes. "